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24 avril 2011 7 24 /04 /avril /2011 20:30

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On parle souvent sur ce blog de la ré-industrialisation du pays, de la nécessité de faire une grande politique nationale industrielle comme à la belle époque du commissariat au plan. Cependant ce que présuppose ce genre de proposition, c'est qu'il reste en France suffisamment de savoir-faire industriel et scientifique pour y parvenir. Nous savons que le temps n'est pas de notre côté en la matière, car la désindustrialisation, de plus en plus massive, de notre pays fait perdre bon nombre de capacités humaines de production. La plupart des savoirs ne s'acquièrent pas à l'école, mais au sein des entreprises et dans la pratique. C'est surtout vrai dans les secteurs industriels qui tiennent leur compétence sur une multitude d'expérience de réussites et d'erreurs cumulées au fil du temps.  En bref, on peut dire que pour avoir une véritable industrie, il faut une accumulation de compétence, qui bien évidemment se tarit naturellement lorsque cette industrie  vient à disparaitre. Les gens se séparent et changent de métiers et les savoir-faire disparaissent. Toute personne désirant ré-industrialiser son pays doit avoir conscience de cela, on ne fabrique pas un secteur industriel d'un claquement de doigts. Il faut du temps, des formations, et une motivation pour les gens qui entreprendront cela. Le secteur industriel français était le fruit des efforts des générations d'après-guerre, nous avions accumulé un capital de savoir-faire considérable qui été en grande partie dilapidé à cause des délires du libre-échange intégral et sans restriction.

 

C'est ce besoin de temps qui explique que les mouvements rapides de réindustrialisation ne peuvent se produire que si un pays possède encore une certaine base. Dans ce sens les dévaluations monétaires ont un effet immédiat sur la balance commerciale d'un pays uniquement si cette base de savoir-faire industrielle est encore là. Si les machines et les hommes ont disparu, la dévaluation ne pourra rien changer à la situation productive du pays. Elle ne fera que réduire la demande intérieure en augmentant le prix de produits importés face auquel aucune production locale n'existe. À plus long terme, il n'est bien évidemment pas exclu que petit à petit le pays se réindustrialise, mais encore une fois cela prend du temps. Nous avions vu que l'Argentine qui a commencé sa réindustrialisation après la crise en 2002, en est encore à vouloir reconstruire certaines industries comme le secteur du jouet. Dix ans après la crise provoquée par les aventures monétaires néolibérales des années 90 l'Argentine n'a pas encore totalement récupéré sa base industrielle. On peut donc tout à fait se poser la question de savoir si la France aura elle aussi à faire face à une telle attente. Notre pays aussi a subi une forte désindustrialisation, le secteur automobile l'un des derniers bastillons industriel français s'en va en Europe de l'Est et ailleurs. Si nous ne réagissons pas rapidement, il ne serait guère surprenant que la France ne produise plus un seul véhicule d'ici cinq ou dix ans.

 

Le déclin des étudiants scientifiques français

 

    Mais si nous devons nous inquiéter du destin tragique de l'industrie française qui vivote encore, nous ne devons pas négliger un signe encore plus inquiétant, celui du déclin rapide du nombre d'étudiants dans les sciences et techniques. Comme le montre cet article, la situation devient vraiment préoccupante dans les universités. On assiste à une crise des vocations sans précédent, en dix ans le nombre d'étudiants en science à l'université en première année a ainsi diminué de  40%. Le doctorat n'a plus la cote et la recherche scientifique non plus. L'article cite d'ailleurs un  professeur d'université qui affirme: « Pour faire de la recherche scientifique, il vaut mieux aujourd’hui aller en Chine, en Inde ou au Brésil. Les politiques menées là-bas ressemblent à celles qui prévalaient chez nous il y a vingt ans ». Voilà qui a de quoi montrer la dure réalité de la science française et qui explique en partie la désaffection que suscite le professorat ou la recherche scientifique. Baisse de considération, baisse des rémunérations et absence totale d'ambition sont à l'origine de ce déclin qui si on ne le stoppe pas aura un effet catastrophique à long terme sur le pays. Car s'il n'y a pas de scientifique ou de techniciens, il n'y a pas d'industrie. D'autant que les quelques scientifiques français préfèrent s'expatrier ou aller s'employer dans des activités aussi utiles que la spéculation financière à l'image du malheureusement symptomatique Jérôme Kerviel.

 

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La France d'aujourd'hui vit essentiellement sur ses acquis et sur l'usage d'anciennes générations qui avaient effectivement eu un niveau scolaire de qualité. La France a d'ailleurs acquis dernièrement deux médailles fields ce qui pourrait nous rassurer à première vu. Mais il ne faut pas oublier que ces gens ont eu leurs diplômes il y a plusieurs années déjà, le déclin actuel dans les sciences ne se fera réellement sentir que dans une dizaine d'années. Avec une violence d'autant plus grande que la société sera bien désindustrialisée si l'on continue comme on le fait actuellement à tout importer. Sur le plan de l'investissement en recherche et développement nous baissons d'année en année, et là il faut bien voir que la droite au pouvoir depuis 2002 a bien fait fléchir les budgets R&D. Dans sa dernière analyse, Jacques Sapir prône une politique active en matière d'investissement de recherche proposant une part de 3% du PIB. Nous en sommes loin et les coupes budgétaires se font toujours dans ce secteur peu revendicatif. Quand le Général De Gaulle a quitté son poste suite aux évènements de 68, la France dépensait 6% de son PIB en R&D. Même si ce chiffre inclus la recherche militaire on voit le peu d'ambition de la France actuelle qui ne croit plus au progrès même si ses élites ont ce terme plein la bouche. 6% du PIB c'est le minimum qu'il nous faudra pour rapidement trouver des solutions aux pénuries en tout genre du pétrole au cuivre, ces produits vont rapidement manquer à l'échelle mondiale. Notre pays devrait orienter et soutenir massivement sa R&D pour préparer cette fin inéluctable de l'abondance en matière première. Mais on ne fait rien on préfère gaspiller l'argent du contribuable à faire des guerres à l'autre bout du monde ou à financer un système bancaire qui nous produit crise sur crise.

 

La baisse de l'industrie a produit la crise des vocations en science 

 

    En réalité ce que subit la France actuellement n'est pas vraiment étonnant. Les USA avaient déjà été touchés par un tel phénomène, mais bien avant nous. Emmanuel Todd en avait d'ailleurs fait l'un de ses arguments de choc dans "L'illusion économique". En effet dans son célèbre livre Todd avait commencé son argumentation sur le déclin américain par une partie intitulée "le plafond culturel". Il y décrivait très bien  le lien entre le déclin technologique américain et le déclin éducatif représenté par un effondrement des étudiants en science au début des années 80. Ce que Todd n'avait pas prévu c'est que la France prendrait exactement le même chemin, mais quelques décennies plus tard.  Cependant bien que grand admirateur de l'œuvre toddienne je ne crois pas que les structures familiales sont ici l'élément explicatif le plus approprié y compris e définitive pour les USA. Pour Todd l'évolution de l'éducation et du niveau éducatif est un mécanisme pratiquement exogène à tous les autres ingrédients qui font société. Le niveau éducatif augmente et produit des effets sur la société des révolutions, des mouvements d'industrialisation, des déclins , des augmentations ou des diminutions des inégalités. Pour ma part je reconnais la puissance de la logique toddienne en matière d'explication de long terme, les révolutions arabes actuelles lui donnant encore une fois raison. Cependant si les effets de l'évolution du niveau scolaire d'une population sur son histoire sont vrais cela n'exclut pas le fait que l'évolution d'une société puisse aussi influencer le niveau scolaire.

 

  La France et les USA n'ont pas les mêmes structures familiales. Ces deux pays connaissent pourtant tous les deux un effondrement de leur nombre d'étudiants en science, mais avec un décalage temporel. Il se trouve que l'explication la plus simple pour moi, et qui est souvent la meilleure est que la population met un certain temps à s'adapter à ses nouvelles conditions économique, une génération en fait. Les USA ont commencé à voir la science ne plus commencer à attirer les jeunes une vingtaine d'années après que le libre-échange ait commencé à faire ses effets sur la structure économique américaine. Il ne faut pas oublier que dans les années 60 les USA ont déjà un déficit commercial, c'est alors l'Europe qui fait mal au commerce US. La France se désindustrialise massivement dans les années 80 et le nombre de jeunes allant dans le secteur scientifique baisse à partir de 2001-02. Les jeunes s'adaptent alors au marché du travail avec un temps de retard, ils voient la génération précédente de scientifiques ne pas trouver chaussure à son pied, se retrouvant mal payée ou déclassée. Les nouveaux Français s'orientent alors vers les métiers porteurs de la société mondialisée et post-industrielle, le marketing, la vente le management et autre métier peu productif collectivement, mais fortement rémunérateur. En fait, les jeunes se dirigent naturellement vers les derniers endroits où l'on trouve du travail en France ce qui est sommes toute assez logique et rationnel. S'ajoute à cela un déclin sévère pour la culture du savoir. On peut appeler ça le syndrome Bart Simpson du nom du célèbre personnage de dessin animé caractérisé par une indécrottable haine de l'effort intellectuel. Il est un peu le représentant du jeune américain majoritaire d'aujourd'hui. Les jeunes se détournent des œuvres culturelles, le savoir est dénigré, et tout concourt dans la société à une espèce d'acculturation volontaire. On peut y voir aussi le phénomène décrier par Bernard Stigler d'épuisement libidinal. Toute l'attention des individus toute leur force et leur énergie étant littéralement pompé par la consommation et la société marchande. Il n'y a tout simplement plus le temps pour apprendre comprendre et réfléchir.

 

  La France commence à connaitre les effets de la mondialisation sur sa structure scolaire qui avait jusque-là résisté grâce à l'inertie des habitudes essentiellement. À la tertiarisation de l'emploi suit donc la tertiarisation de l'instruction. Ce qui va considérablement aggraver la situation macroéconomique du pays puisque le modèle post-industrielle n'est tout simplement pas viable à terme à cause des déficits commerciaux qu'il produit. Face a cette situation il ne suffira pas de modifier les programmes scolaires ou même d'augmenter les budgets recherche ce qui serait quand même important de faire. Aux USA les chercheurs sont bien payés, mais les jeunes boudent quand même ces secteurs les USA étant obligés d'importer leur tête pensante. Cela ne pourra pas durée indéfiniment et un jour les étudiants asiatiques n'iront plus compenser la médiocrité des élèves américains. Il faut redonner à la science française une cohérence avec notre structure économique. Cela passe par la réindustrialisation et le retour de l'état en matière d'intervention économique. En réalité le seul moyen de rendre sa noblesse à la science et à la technique est de rendre à nouveau attractifs les métiers de ce secteur. Et bien évidemment cela ne se produira pas tant que nous en resterons à importer les biens que nous consommons. Aujourd'hui ce sont des centres de recherche que l'on délocalise ou que l'on sous-traite. Si la France ne régit pas, il ne restera pas grand-chose de ce pays dans lequel nous vivons. Imaginons nos centrales nucléaires manquant  de mains-d'œuvre qualifiées, nos TVG tombant en panne faute d'ingénieurs compétents. À force de trop rémunérer le superflu et pas assez l'essentiel c'est toute notre civilisation qui risque de s'effondrer. Todd s'était moqué de la situation américaine lors de l'ouragan Katrina, je ne m'étonnerai pas de voir la France dans ce genre de situation d'ici dix ou quinze ans. Des systèmes de distribution d'eau qui ne fonctionnent plus, des pannes à répétition un peu partout faute de compétence. Il va être beau le 21ème siècle français.

 


PS: Pour finir ce texte, je tiens à signaler la sortie prochaine d'un documentaire sur les dernières découvertes scientifiques concernant l'astronomie et l'évolution de la vie. Il s'intitule du Big Bang au vivant. J'en parle parce que l'article auquel je fais référence parle de Jean Pierre Luminet l'astrophysicien, c'est lui qui est à l'origine de ce documentaire. Pour la petite histoire Jean Pierre Luminet n'a pas trouvé de financement en France pour son projet, il a du aller au Québec pour en trouver. Il est pourtant un habitué des documentaires et il était l'un des participants régulier avec Hubert Reeves à l'émission la nuit des étoiles filantes dont je regrette amèrement l'arrêt de diffusion sur France télévision. Cela souligne le peu d'intérêt que portent nos responsables à la science, surtout lorsque l'on voit des types comme les frères Bogdanov faire des émissions plus ésotériques que scientifiques sur une chaine de service public.  

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commentaires

C
<br /> Mon Blog(fermaton.over-blog.com),No-6, THÉORÈME ALASKA.-  BIG ONE(séisme=10) ?<br />
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O
<br /> <br /> Quelques pistes de réflexion :<br /> <br /> <br /> http://blog.usinenouvelle.com/innovation/management/peut-on-innover-sans-confiance/?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_campaign=Feed%3A+innovationenquestions+%28Blog+Usine+Nouvelle+%3A+L%27Innovation+en+questions...%29<br /> <br /> <br /> http://blog.usinenouvelle.com/innovation/financement/largent-suffit-il-a-transformer-la-recherche-en-innovation/?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_campaign=Feed%3A+innovationenquestions+%28Blog+Usine+Nouvelle+%3A+L%27Innovation+en+questions...%29<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> @ red2<br /> <br /> <br /> L'exemple que dont vous parlez n'est guère étonnant puisque les gens qui gèrent nos entreprises ont des conpétences "universelles". Ils ont du mal à comprendre que la technique et la science ce<br /> n'est pas comme le marketing ou la gestion comptable, cela demande un long travail d'apprentissage et qu'il est donc stupide de changer sans arrêt le personnel technique. Ce n'est pas un hasard<br /> si un pays comme le Japon qui autrefois était caractérisé par l'emploi à vie avait atteint un tl niveau de technicité et de compétence. D'ailleurs depuis qu'ils se mettent à nos méthodes<br /> marketing la situation se dégrade la-bas aussi.<br /> <br /> <br /> @olaf<br /> <br /> <br /> Ce que vous dites est très vrai. Dans un labo où j'ai fait mon DEA les chercheurs passerleur temps à faire de la paperasse parce qu'il n'y avait pas de budget pour embaucher des secrétaires.<br /> Quand au directeur il passer son temps pour trouver un financement aux thèses de moins en moins nombreuses faute d'argent pour le financer.<br /> <br /> <br /> @valuebreak<br /> <br /> <br /> Je suis d'accord avec   J. Halpern il faut faire attention avec ces histoires de dévaluation. La France par exemple n'est pas encore à l'agonie notre déficit commercial croit dangereuesement<br /> mais il n'ets pas encore au niveau de l'Espagne ou des pays anglo-saxons. Une dévaluation serait par exemple fortement bénéfique à l'industrie automobile et arrêterait probablement les<br /> délocalisations en cour. D'autre part à plus long terme une monnaie moins forte réorienterait vers l'investissement locale. De toute façon à l'heure actuelle l'euro est trop fort même pour<br /> l'Allemagne si l'on en croit son commerce avec l'Asie.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Et puis une monnaie ne peut pas restait indéfiniment surévaluée à un moment donné elle retombera et plus elle aura était trop forte et plus nous tomberons de haut à l'image de l'Argentine en<br /> 2002.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> @La Gaule<br /> <br /> <br /> "Je conclus sur une note purement intuitive (voire anecdotique). Je constate souvent que l’appétence et l’enthousiasme pour les sciences, lorsqu’ils sont revendiqués, sont plus exubérants chez<br /> les filles qui embrassent ces carrières que chez les garçons. Effet de traîne de la féminisation du corps enseignant, par identification au modèle, ou encore « effet pionnier » ? Le salut de la<br /> science chez nous viendra-t-il donc des filles ? (Si c’est le cas un vieux myso comme moi à de quoi faire la gueule)."<br /> <br /> <br /> A bon vous êtes sûr? Je ne m'avancerai pas trop la dessus n'ayant pas de point de comparaison ou de statistique sous la mian pour admettre vos propos. Cependent il y a une raison au fait que<br /> l'avenir de la science se fera par les femmes c'est tout simplement parce qu'elle sont meilleures à l'école. Le fait est que les femmes deviendrons majoritaire dans les activités de haut niveau à<br /> long terme, quel en seront les conséquences je n'en sait rien. Pourquoi les jeunes filles sont tellement meilleures en classe, mystère. Même si l'on peut faire quelques hypothèses comme le fait<br /> que les écoles mixtes ne sont peut-être pas très favorable aux garçons ce que certaines études avaient montrées. Ou encore la féminisation du métier d'enseignant qui a peut-être eu un effet de<br /> baisse de l'autorité sur les garçons ce qui a nui à leur instruction.  Quoiqu'il en soit les métiers scientifiques seront effectivement féminisés à long terme.<br /> <br /> <br /> <br />
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V
<br /> <br /> @ la Gaule : commentaire très intéressant. merci.<br /> <br /> <br /> <br />
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V
<br /> <br /> @ J. Halpern : bon , je développe.<br /> <br /> <br /> en France nous ne produisons pas assez (et loin de là) pour notre propre suffisance. Raison pour laquelle nous avons une dette colossale qui s'accroit encore et toujours, malgré les artifices<br /> comptables pour la dissimuler. Toute dévaluation éventuelle aurait comme conséquence de renchérir nos importations, et d'aggraver le poids de la dette future. Au stade actuel, un € fort nous<br /> permet d'acheter à l'étranger pour moins cher. Et donc de freiner la catastrophe finale.<br /> <br /> <br /> une dévaluation n'aurait d'effet qu'avec une diminution IMPORTANTE de nos achats extérieurs ET de nos dépenses sociales (dont l'augmentation liée au vieillissement absorbe à elle seule une<br /> croissance annuelle de 1,5% du PIB) ET un accroissemnt de nos ventes à l'extérieur. évidemment je pense que ces trois conditions sont impossibles à réaliser dans les conditions actuelles, et<br /> c'est pourquoi je préfère un  € fort ...<br /> <br /> <br /> à terme, évidemment, nous n'aurons d'autre solution que de faire défaut sur notre dette et sur nos engagements ... ca va faire mal ... je suis pas pressé d'affronter des tensions sociales<br /> extrêmes ...<br /> <br /> <br /> <br />
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