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10 juillet 2023 1 10 /07 /juillet /2023 16:46

 

Alors que les crises se succèdent et que l'Europe, désormais terre de déclin et d'agonie industrielle, continue de se suicider lentement, le reste du monde commence à préparer l'après occident. Ou plus exactement l'après-empire américain. Puisqu’en réalité ce que l'on nomme l'occident à l'heure actuelle n'est que les USA plus les états satellisés à l'époque de la Seconde Guerre mondiale incluant l'Europe de l'Ouest, le Japon, et la Corée du Sud. Les signes en la matière ne trompent pas . La crise ukrainienne a montré la faiblesse de l'occident et son incapacité à simplement arrêter la Russie. L'ordre international américain qui avait une certaine légitimité après guerre, a laissé de plus en plus la violence et la force de devenir son seul et unique moyen d'action. L’incapacité des USA à accepter le partage du pouvoir avec les puissances montantes en particulier la Chine condamne de facto cet ordre à l'anéantissement. Les nouvelles puissances montantes n'acceptant plus l'ordre ancien, particulièrement celui du rôle du dollar qui a agi et continue d'agir comme un formidable aspirateur de richesse pour les USA. Ces derniers pouvant acheter le monde entier avec des dollars qui ne tient qu'à eux d'émettre, comme disait de Gaulle. Ils ne s'en sont d'ailleurs pas caché dernièrement en subventionnant largement la production sur leur territoire pour attirer les industriels européens en particulier.

 

L'origine de la névrose américaine

 

Cette trajectoire de conflit entre les puissances montantes et l'ancienne puissance dominante n'a rien de nouveau. C'est quelque chose qui s'est souvent produit dans l'histoire, la dernière fois cela avait débouché sur deux guerres mondiales. Mais la situation actuelle diffère dans le sens où il est quand même peu probable que l'on en vienne à une guerre directe entre les protagonistes. Les USA ont beau multiplier les rodomontades contre la Chine, ils savent bien qu'ils ne pourraient pas gagner une telle guerre, ensuite un tel conflit aurait un coût tellement délirant pour toutes les parties que le jeu n'en vaut certainement pas la chandelle. On reste donc sur une guerre informelle faite de mesure économique, de lois, et de conflits militaires par vassaux interposés comme c'est le cas en Ukraine. Mais au fond, nous pourrions ici expliciter rapidement l'origine de cette obsession américaine pour le maintien du statu quo international, alors qu'il est évident qu'ils ne se sont déjà plus la première puissance économique du monde, comme nous l'avons vu dans un texte précédent. Après tout, qu'est-ce que cela peut bien faire d'être premier second ou troisième ? Que la Chine et l'Inde passent devant les USA ne devrait guère choquer puisque ces pays sont largement plus peuplés. Ce n'est pas plus choquant que les USA pèsent plus que la Grande-Bretagne qui leur a pourtant donné naissance. Il n'y a que 65 millions de Britanniques alors que les USA ont aujourd’hui 330 millions d'habitants. Pourtant personne ne s'en offusquera en Grande-Bretagne, me semble-t-il.

 

Mais il y a plusieurs raisons à ce comportement de mauvais perdant de la part des USA. On pourrait tout d'abord souligner la mentalité américaine elle-même qui ne supporte pas d'être derrière. On y voit ici l'effet de la destinée manifeste sur la mentalité locale. Les USA ne se voient pas autrement qu'en tant que nation indispensable. Celle qui croît infiniment et remplit le monde entier. Si à l'origine la destinée manifeste était un délire de calviniste colonisant un continent faiblement peuplé, surtout après les épidémies qui ont ravagé la population locale. Cette destinée manifeste est devenue planétaire quand les USA sont devenus la grande puissance montante. Sa seconde application fut la célèbre doctrine Monroe qui interdisait aux autres puissances d'intervenir sur le continent américain que les USA considéraient comme leur. Après la Seconde Guerre mondiale, la destinée manifeste semblait donc devoir s'appliquer au monde entier. Le monde entier devait devenir les USA et cela commença en Europe de l'Ouest. L’apogée de ce délire de puissance caractéristique fut atteint dans les années 90 avec la fin de l'URSS, pendant deux décennies nous vécûmes dans la destinée manifeste américaine. Mais en réalité, des fissures commençaient déjà à apparaître à l'époque, en particulier depuis les années 70 l'économie américaine réelle commençait à s’affaiblir. Et plus profondément la dynamique démographique qui avait permis aux USA cette fabuleuse expansion durant deux cents ans s'est étiolée.

 

En effet, on l'oublie souvent, mais c'est avant tout la dynamique démographique qui a permis la montée en puissance des USA. Et contrairement à une idée reçue, cette dynamique n'était pas uniquement due à l'immigration loin de là. Jusqu'à l'après-guerre, les Américains faisaient beaucoup d'enfants, beaucoup plus que les Européens. Alors que les pays les plus féconds d'Europe de l'Ouest étaient à 3 enfants par femme dans les années 1900, les USA eux étaient encore à plus de 4. En réalité à part la Russie de l'époque, aucun pays européen ne devançait les USA sur le plan de la natalité. Ajoutons à cela une baisse précoce de la mortalité infantile. Et c'est bien cette dynamique qui va faire passer les USA en tête des puissances occidentales. Cette dynamique démographique a fait croire aux USA qu'effectivement leur destinée était manifeste, mais elle a cessé depuis. La seule dynamique démographique qu'ils connaissent aujourd'hui étant celle de l'immigration latino-américaine de plus en plus mal intégrée.

 

Le second facteur très important dans la peur des USA de perdre leur statut de seule et unique superpuissance tient à la monnaie. Nous en avons déjà longuement parlé, mais comme nous allons rapidement parler de monnaie internationale, il faut bien parler du statut du dollar. Pendant l'entre-deux-guerres l'instabilité économique mondiale fut en partie liée au fait que l'ancienne superpuissance britannique n'avait plus les moyens de maintenir l'ordre monétaire international fondé autour de la livre sterling. Et la nouvelle puissance américaine ne jouait pas encore son rôle. Ce fut la cause de beaucoup de désagrément surtout pour la Grande-Bretagne qui devait choisir entre son économie ou le maintien de la valeur monétaire de la livre. La surévaluation de la monnaie britannique fut un vrai problème pour les industriels anglais qui n'avaient plus les avantages technologiques qu'ils pouvaient avoir quelques décennies plus tôt. Le libre-échange anglais avait favorisé la naissance de puissances industrielles concurrentes, notamment celle des USA et de l'Allemagne, qui étaient des pays farouchement protectionnistes. Une situation pas si différente de celle qu'on connaît aujourd'hui l'Ancien Monde se meurt, mais le nouveau tarde à arriver. Pendant la conférence de Bretton-Woods en 1944, les USA et la Grande-Bretagne négocièrent pour savoir quel devait être l'ordre monétaire qui succéderait à celui des années folles. Deux plans furent alors proposés, celui de Harry Dexter White, le représentant américain qui voulait faire du dollar la nouvelle monnaie internationale. Et le représentant de la Grande-Bretagne John Maynard Keynes qui proposa une solution originale, celle du Bancor, dont nous allons reparler ensuite.

 

Évidemment étant donné les rapports de force de l'époque, les Anglais ne purent imposer leur solution pourtant certainement la plus sage à long terme y compris pour les USA. Le dollar devint une monnaie internationale garantie sur l'or jusqu'en 1973. Les problèmes qu'occasionne une monnaie internationale de réserve qui est aussi une monnaie nationale sont nombreux. Keynes qui avait eu la charge de la gestion du trésor britannique en savait quelque chose. Et c'est bien pourquoi les Américains eurent été bien inspirés d'écouter ses conseils d'alors. Un économiste belgo-américain Robert Triffin a résumé cette problématique par son célèbre paradoxe portant son nom, le dilemme de Triffin. Un pays qui gère une monnaie internationale et nationale doit faire face à un déficit commercial structurel. En effet, les autres pays doivent impérativement accumuler des excédants pour obtenir la monnaie internationale, ce qui construit mécaniquement un déficit chez le pays qui produit la monnaie en question. Dès les années 60, les USA connaissent un déficit commercial qui va devenir permanent pour atteindre aujourd'hui plus de 1000 milliards de dollars par an.

 

Il faut bien expliquer également que le fait de posséder la monnaie internationale qui en plus n'est plus gagé sur l'or rend la production locale inutile en quelque sorte. Avec ce rôle de monnaie internationale, il est un peu arrivé aux USA, ce qui est arrivé aux Espagnols avec l'or des Amériques. Les producteurs locaux deviennent inutiles puisque l'on peut acheter tout et n'importe quoi avec des dollars qu'on peut produire indéfiniment tout comme l'or qui sortait des mines. D'autant plus que le rôle du dollar oblige les autres nations à maintenir tout de même la valeur de leur monnaie par rapport à celle des USA. Ce qui en fait conduit les autres pays à dévaluer quand les USA impriment de la monnaie de façon excessive. Les USA exportent donc par ce mécanisme leur inflation. Mais vous comprendrez maintenant le problème. La base industrielle et productive des USA ayant été progressivement détruite par des décennies de dollar international, la perte de leur avantage monétaire représenterait une descente aux enfers économiques absolument terrible. Quelque chose d'aussi violent que la perte des colonies d’Amérique pour l’Espagne pour continuer dans notre comparatif. On comprend mieux ici la peur qui anime en réalité les élites américaines et leur profonde angoisse vis-à-vis d'une situation qui pourrait leur être fatale. C'est là à mon avis que se trouve le vrai ressort de l'impérialisme agressif des USA de ces dernières années.

 

 

Le Bancor de Keynes

 

Évidemment ce que j'ai expliqué ici est bien connu. En France, c'est même le général de Gaulle lui-même qui l'avait ouverte expliqué dans sa célèbre conférence de 1962. C'est dans ce contexte de crise du système monétaire international que les BRICS font avancer leurs pions. La Chine en particulier qui est la nouvelle superpuissance économique essaye de changer le système, mais sans pour autant vouloir l'effondrement du système actuel qui la toucherait aussi. D'où la relative lenteur des changements. Le dollar perd du terrain au profit d'autres monnaies en particulier le Yuan chinois, mais de façon progressive. Les autorités de Pékin comprennent bien le danger qu'il y aurait en un effondrement brutal de la monnaie américaine. Bon nombre d'entreprises et d'activités dans le monde seraient durement frappées. D'autres par la consommation américaine jouent toujours un rôle très important dans la demande mondiale. La simple division par deux du déficit commercial US en 2008 avait entraîné une récession planétaire.

 

    Mais au-delà du rythme du changement de système, il faut aussi avoir un plan de remplacement. Car si le rôle du dollar est clairement devenu un problème, l'économie mondiale ne peut pas fonctionner sans une monnaie internationale pour les échanges. Et si le dollar disparaissait brutalement, il serait remplacé par une nouvelle devise, probablement le Yuan. Mais je pense que les autorités chinoises n'ont pas du tout envie de cela, car ce serait se retrouver dans la même situation que les USA avec le dilemme de Triffin dans quelques décennies. Les autorités de Pékin en ont conscience puisque le dirigeant de la banque centrale chinoise monsieur Zhou Xiaochuan avait même fait l'éloge du Bancor de Keynes pendant la crise de 2008 justement. La récente proposition d'une monnaie commune entre les BRICS qui ne soit pas une monnaie nationale relance donc la vieille idée de Keynes, celle du Bancor qui avait été proposé pendant les accords de Bretton Woods.

 

L'idée de Keynes était simple, aucune nation ne doit avoir une monnaie nationale qui soit aussi une monnaie internationale, car cela rend inévitables les problèmes à terme. Malheureusement, l'or et les métaux ont l'énorme problème d'être limités en quantité. L'utilisation d'un métal ou d'un groupe de matière première comme monnaie internationale produirait mécaniquement des effets dépressifs en limitant artificiellement la hausse de la masse monétaire. Chose que les libertariens et les libéraux qui prônent ce genre de solution évitent soigneusement de dire. On doit donc créer une monnaie internationale qui n'appartient à aucun état en particulier, mais qui ne stérilise pas non plus la croissance. Celle-ci pourrait être un panier monétaire dont l'évolution se ferait au prorata des monnaies membres du système un peu à l'image de l'ancien SME. Cependant, contrairement à l'ancien SME , Keynes proposait de mettre fin aux grands déséquilibres commerciaux et financiers. En effet, le système de Keynes punissait les pays excédentaires et favorisait plutôt les relances de la demande intérieure et le plein emploi. C'est ce qui a manqué au SME et à l'euro au passage. Si nous avions mis des mesures pour empêcher le mercantilisme de certaines nations au sein de la zone euro, nous n'aurions probablement pas tous ces problèmes à l'heure actuelle en Europe. Keynes ne croyait pas au doux commerce de Montesquieu, mais il pensait que le commerce devait être rendu doux par des mesures de rétorsion.

 

Il reste à voir si les BRICS, menés par la Chine, iront dans le sens de Keynes cette fois, et s'ils ne reproduiront pas les erreurs américaines. En tout cas, il est claie que le temps du dollar est compté. L'empressement maladroit des USA pour se réindustrialiser le plus vite possible montre un état de panique à Washington. Reste à voir si ces mesures seront réellement capables de redresser leur situation, j'en doute fortement. Même plusieurs siècles après l'Espagne n'a toujours pas vraiment retrouvé le niveau de développement qu'elle avait avant son âge d'or par rapport aux autres nations européennes. Il en ira probablement de même pour les USA qui ne retrouveront probablement pas le poids qu'il pouvait avoir avant leur rôle monétaire.

 

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commentaires

D
J'entends plusieurs fois l'argument que la monnaie commune est une mauvaise idée en invoquant l'exemple du SME.<br /> Ce serait genant de proner une monnaie commune alors que la mauvaise idée de l'Euro s'est revelée plus résiliente que le SME.<br /> N'y a t'il pas des differences majeures entre l'ECU du SME et une monnaie commune ?
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Y
En fait l'ECU c'était juste le nom de la monnaie commune du SME. Mais le problème du SME était que l'on a laissez les capitaux circuler librement. Les spectateur s'en sont mis plein les poche en pariant sur des sorties de certains états. George Soros a fait sa fortune en spéculant contre la livre en 92. Les Européens voulaient revenir à un système monétaire stable sans voir que la dérégulation financière qu'ils avaient aussi voulu rendait ça impossible.