Le dernier texte de notre collègue David Desgouilles frappe, à juste titre, sur les attaques légèrement malvenues qui se sont focalisées sur madame Christine Boutin et sa mission d'analyse de la mondialisation. Beaucoup de nos concitoyens se sont offusqués des revenues que cette mission allait procurer à l'intéressé. On pourrait d'ailleurs objecter que des travaux d'analyses de la mondialisation et de ses effets néfastes existent, en quantité et en qualité. Il eut été réellement intelligent de faire appel, par exemple, aux quelques esprits éclairés qui avaient de longue date prédit la crise, de Jean Luc Gréau à Jacques Sapir, ou Frédérique Lordon. Même Patrick Artus eut été un choix plus judicieux que madame Boutin pour cette mission, mais rien n'empêche celle-ci de faire appel à des penseurs alternatifs. Cependant il est probable que les conclusions de cette étude soient, comme d'habitude, dans ce genre d'exercices pseudo-scientifiques, connu d'avance. De sorte que l'analyse ne servent en vérité qu'à justifier des choix arbitraires et idéologiques.
C'est une vielle méthode de justification des politiques publique. Si l'on voit cela dans ce sens alors effectivement les compétences et les qualités d'analyse économique n'ont guère d'importance. Il faut un individu capable de vendre sa camelote intellectuelle comme étant le fruit d'une analyse pesée et argumentée. Mais le plus intéressant dans cette affaire ce n'est pas le but de cette étude, ni même l'incroyable irritation dont la population française fait preuve sur les questions salariales en période de crise. Non le plus important c'est le lien naturel que nous faisons, en générale, entre le salaire et la compétence. Il s'agit là d'un des socles de notre civilisation, un des mécanismes qui permet au final de garantir de la stabilité sociale et la hiérarchie dans une société obsédée par l'égalitarisme. Mais cette organisation hiérarchique est de plus en plus mis à mal par les faits contradictoires révélaient par les crises multiples auquel font face les français et les occidentaux plus généralement.
De l'autorité seigneuriale de droit divin à l'autorité salariale auto-justificative
Toute les sociétés, quelles qu'elles soient, doivent avoir une hiérarchie, quoiqu'en pensent les anarchistes. Le fait est qu'une collectivité constituée de nombreux membres a l'obligation d'avoir une centralisation du pouvoir pour exercer une action collective. Cette remarque est vrai aussi bien pour les animaux et les insectes, que pour tout organisme multicellulaire qui a besoin d'une hiérarchie, d'une spécialisation etc... Il est donc, à mon humble avis, stupide d'essayer de créer une société sans hiérarchie. Cela ne dit rien cependant sur la nature de la sélection et des choix des places dans la hiérarchie. Notre civilisation moderne et démocratique s'est construite à partir d'un substrat qui était basé sur un concept de hiérarchie bien différent de ce qu'il est aujourd'hui du moins en apparence. A l'origine nos nations ont été construite par des guerriers, ces derniers ont construit une autorité basée sur leur capacité à faire usage de la violence ou à protéger leur population de la violence d'autres concurrents. Par dessus cette violence s'est greffée une autorité religieuse, celle du christianisme, qui a voulu faire du roi un représentant de dieu sur terre. C'est cette alliance entre autorité divine et l'autorité violente qui a créé les monarchies européennes et le féodalisme.
Les principes de la révolution française vont bien évidement balayer tout çà, mais ce grand nettoyage de la vielle autorité va mettre en place une nouvelle forme d'autorité celle fondée par le pouvoir populaire c'est l'exercice démocratique et celle fondée sur l'argent c'est l'ordre marchand. Et depuis la révolution la France, comme la plupart des puissances occidentales, sont fondées sur cette double autorité l'une politique, l'autre économique. Il peut paraitre étrange que ces deux autorités aient pu ainsi cohabiter aussi longtemps, mais c'est un fait, vous élisez vos représentants politiques mais vous êtes sous la coupe d'un autocrate dès que vous vous rendez sur votre lieu de travail. L'autorité marchande est fondée sur la domination monétaire, contrairement aux anciennes autorités guerrières qui se cachaient derrière la religion ou qui ont construit petit à petit des justifications morale comme l'honneur. De ce fait la brutalité de la relation de domination inhérente à cette organisation, disant que celui qui a de l'argent domine celui qui n'en a pas, ne pouvait pas ne pas être attaqué régulièrement par les dominés. Et la révolution prolétarienne et le socialisme furent finalement le résultat logique d'une domination marchande trop visible dans la population et le fait de déclarer l'égalité dans le domaine politique ne pouvait que remettre en cause l'autorité de droit marchand qui n'avait même pas pour elle de nobles idéaux. L'élévation du niveau scolaire et de la compréhension des masses du système dans lequel elles vivent a bien évidement agit dans ce sens et l'esprit d'égalité est en grande partie le fruit de cette compréhension nouvelle du monde.
La schizophrénie occidentale qui consiste à séparer la façon d'organiser la vie politique et la vie économique va continuer à produire ses effets jusqu'à la seconde guerre mondiale. Après la reconstruction et pendant toute la période dite des trente glorieuses va se construire une nouvelle forme d'autorité issu du mélange des principe de l'égalité démocratique et du système technicien fondé sur la compétence technique. C'est le fameux système dit de méritocratie qui est directement inspiré de la façon de faire des scientifiques et de l'enseignement des mathématiques. La méritocratie a été l'idéal d'après guerre le rêve d'une société dans laquelle nul ne serait plus jugé que par son travail et ses qualités intellectuelles ou manuelles, suivant le secteur. Et l'ENA et les grandes écoles furent l'application doctrinal de ces principes à la façon de former les futurs élites du pays. Bien sure tout ceci était de l'esbroufe et nos écoles n'ont jamais vraiment étaient égalitaires au sens où un fils d'ouvrier eut accès aussi facilement qu'un fils de patron au saint Graal des grandes écoles. A travers l'autorité des diplômes c'était en réalité l'autorité marchande qui s'affirmait et qui avait enfin trouvé là un moyen apparent de justifier son autorité.
Et cette autorité nouvelle construite autour des diplômes et de la domination des savants va même empoisonner la démocratie. En effet grâce à l'autorité donnée par le fait d'être des compétents les nouvelles élites issus du système méritocratie vont s'empresser de remettre en cause la démocratie qui elle est fondée sur l'égalité de chaque citoyen. Quelque part l'Union Européenne est la fille ainée de la méritocratie, elle est la structure fille d'une logique qui veut qu'un diplômé issu d'une grande école a un poids plus grand qu'un citoyen lambda. Bien sure il existe une réalité pas totalement fausse derrière cela quelqu'un ayant étudié une question particulière pendant un certain temps a bien évidement une opinion qui a plus de poids sur cette question.
Cependant la méritocratie n'a jamais vraiment marché et ceux qui se présentent comme compétents ne le sont souvent que par leurs relations sociales et individuelles. De plus être compétent ne donne pas le droit d'imposer ses opinions et ses intérêts comme étant plus vrai que ceux du reste de la population. Choisir la rente plutôt que le travail ce n'est pas être compétent mais faire valoir certains intérêts par rapport à d'autres, en ce sens la méritocratie n'a rien à faire dans la politique et les choix collectifs d'une société. Les compétents doivent dire ce qui est possible mais ne doivent pas imposer les choix collectifs. Et ce d'autant plus que nous savons que certaines sciences n'en sont pas , le cas de l'économie est exemplaire en ce sens. Et s'il est facile de juger objectivement de la qualité d'un étudiant en science physique ou en mathématique c'est autrement plus dure dès que l'on s'attaquer aux sciences humaines qui sont pourtant au cœur de la formation de nos élites politiques actuelles. De plus le fait de possédé un diplôme de dit rien sur l'usage que vous ferez de vos connaissances et talents, bref la méritocratie est beaucoup plus limité que ce que certains croient. L'échec patent de l'UE est de ce point de vue représentatif du fiasco les sachant ont été obtus, prétentieux et orgueilleux, ils ont construit des systèmes conduisant la société à la catastrophe. Nous aurions probablement bien mieux dirigé par des ignorants qui doute que par des savants plein d'arrogance.
De l'autorité blingbling à crise de l'autorité
Mais de toute façon l'autorité des diplômes a depuis longtemps décliné, son apogée a probablement été aux alentour du milieu des années 90 au moment où justement Maastricht fut instauré. L'autorité a petit à petit glissé du modèle d'après guerre de la méritocratie et des diplômes vers la domination du fric pur et dur. Tout se passe comme si la désindustrialisation et l'économie financiarisée avaient petit à petit construit une nouvelle forme d'autorité et démolie l'ancienne. Le déclin des diplômes est souvent associé à la massification de l'enseignement et à sa démocratisation, mais la réalité est tout autre. Dans une société industrielle celui qui sait produire a une autorité qui découle de ses compétences fussent elles exagérées, les marchands favorisent alors les études le savoir, la connaissance et le travail, et l'autorité est construite autour de l'idée de compétence. C'est ce que nous avons connu après guerre et ce que connaissent les sociétés asiatiques à l'heure actuelle. Mais dans une société post-industrielle qui importe tout ce qu'elle consomme les producteurs ne servent plus à rien. Seul reste les fameux manipulateurs de symboles publicitaires, sportifs, stars etc. La société dite post-industrielle a séparé la production de la création de richesse. La culture et l'autorité qui allaient avec la société industrielle a donc disparu avec elle. Et il n'est donc guère étonnant de voir les jeunes mépriser les profs et les instituteurs comme ils méprisent désormais le politique la police et tout le reste.
La seule chose qui est respecté est l'argent et rien d'autre. Posséder de l'argent c'est avoir du pouvoir et de l'autorité quelque soit vos talents, votre age, vos efforts ou votre intelligence. Et cette logique se retrouve dans la hiérarchie des salaires et explique peut-être, en partie, l'obsession maladive pour posséder plus que son voisin même lorsque que l'on a plus d'argent que nécessaire pour vivre. D'où cette obsession de voir les représentants de l'état posséder des salaires mirobolant bien que cela ne serve à rien réellement. En manquant d'argent ils manquent d'autorité, pour être respecté ils leurs faut leurs jets privés, comme ces grands nababs de la finance qu'ils côtoient. Et ces raisonnements sont d'ailleurs fait par des penseurs soit disant alternatifs, je me souviens ainsi d'une réflexion qui m'avait heurté l'année dernière de Paul Jorion, intellectuel de gauche, qui expliquait que les autorités de surveillance des marchés financiers américains étaient moins compétentes que les spéculateurs parce que ces derniers étaient plus rémunérés. Comme si la compétence était directement proportionnel aux revenues d'une personne. De la même manière certains pensent que moins rémunérer les députés reviendrait à faire fuir les compétents. Ce genre de raisonnement en dit long sur le degrés d'empoisonnement auquel notre société est soumise. L'esprit marchand a décidément tout envahi. Cette situation ne pourra évidement pas durer d'abords parce que nous ne pourrons pas éternellement vivre à crédit vis à vis de l'étranger. Ensuite parce que nos sociétés deviennent chaque jour plus difficile à vivre la violence est le résultat direct d'une hiérarchie absurde fondée sur l'avoir et uniquement sur lui. Il est cependant difficile de savoir, ou d'imaginer, qu'elle sera la nouvelle autorité qui s'imposera dans nos pays et la forme qu'elle prendra.