Décidément, le divin marché n'est plus ce qu'il était, lui qui devait résoudre tous nos problèmes, éliminer la faim dans le monde, et laisser derrière lui l'immonde nationalisme dans les poubelles de l'histoire,il se retrouve finalement à la tête d'une civilisation à l'agonie. Il faut donc croire que l'amoncellement d'intérêts divergents mû par la seule force de l'intérêt économique ne fait pas la prospérité des peuples et des nations. Pis même. Il semblerait que le divin marché ne fasse pas société, et qu'il n'élève guère les hommes vers la félicité éternelle de la richesse concupiscente. Partout la guerre, le chaos et la misère s'étendent. Loin d'un monde pacifié et vertueux, le libéralisme triomphant laisse derrière lui des nations en décomposition et des peuples à l'agonie pendant qu'une poignée d'individus finissent d’épuiser un monde malade aux ressources naturelles en raréfactions. Que la leçon est dure, d'autant que les victimes premières de la stupidité libérale n'en sont pas ses principaux initiateurs. L'on continue d'ailleurs dans les hautes autorités de l'irresponsabilité généralisée de féliciter les plus fieffés lieutenants du libéralisme en leur octroyant des titres comme le Nobel d'économie au français Jean Tirole. Un économiste libéral typique qui produit du vent théorique loin des affres de la praxis et de la mesure scientifique. Il faut dire que le libéralisme ne marche qu'en éprouvette, alors pour quoi s'échiner à vouloir en mesurer les effets positifs dans le monde réel. Comme le marxisme il aurait peut-être mieux valu que la théorie ne sorte pas des laboratoires et des livres. Mettons donc en pratique les robinsonnades dont ils sont friands, et livrons nos théoriciens du libéralisme aux charmes de la nature, loin du monde civilisé. Enfermons-les sur une île où ils pourront palabrer des heures durant sur l'efficacité du marché libre en attendant qu'ils meurent de faim.
L'Europe: le laboratoire libéral grandeur nature
Comme les lecteurs habitués de ce blog le savent, je suis un grand fan d'Emmanuel Todd. Et je l'apprécie tellement que je passe mon temps à le critiquer, parce que comme le dit l'adage « Qui aime bien châtie bien ». Si j'adhère totalement à l'analyse Toddienne sur la crise générale produite par le libre change et le laissez-faire, je suis toutefois plus circonspect sur le rôle que donne Todd à l'Allemagne en Europe. Dernièrement Todd a en effet durci son ton face à l'Allemagne accusant cette dernière de téléguider en quelque sorte volontairement la construction européenne. S'il est vrai que l'Allemagne a un rôle majeur dans la crise actuelle de l'euro, l'on ne peut imputer à ce pays la déliquescence générale de nos économies. Il est d'ailleurs étrange ce comportement chez Todd qui consiste à innocenter les USA ou la Grande-Bretagne qui sont pourtant largement responsable de la domination mondiale du délire libérale, pour accuser l'Allemagne. Comme si la mondialisation actuelle avait des coupables et des innocents. C'est en contradiction avec l'observation pratique. Le fait est que l'Allemagne comme la Chine ou la Corée du Sud fait partie des bons élèves du libéralisme triomphant. Tous ces pays ne font qu'appliquer à la lettre l'idéologie dominante vendue par la doctrine libérale. En ce sens, faire de l'Allemagne le grand coupable en Europe de la crise c'est innocenter les véritables coupables, les idéologues libéraux et les multinationales qui nourrissent partout cet aveuglement.
La baisse de la croissance en Allemagne et en Chine, c'est-à-dire dans les deux pôles mercantilistes de la mondialisation, les deux géants de l'accumulation d'excédent commercial, pourrait être bien au contraire le levier qui permettra de renverser enfin la doxa libérale. Une doxa qui a jusqu'ici, malgré la multiplication de ses échecs, résisté dans l'imaginaire collectif particulièrement dans celui des élites. C'est d'ailleurs tout le paradoxe actuel, mais qui n'est guère nouveau. L'échec pratique de l'idéologie libérale a finalement renforcé la foi de ses adeptes, exactement comme la transformation des comportements démographiques et l'affaiblissement religieux en terre d'Islam ont renforcé les plus fervents adeptes de cette religion. Jusqu'ici ce sont essentiellement les victimes de la mondialisation libérale qui ont été touchées par la crise. L'amoindrissement de leurs capacités de production sous l'effet du libre-échange ayant été un temps remplacé par l'endettement sous toutes ses formes. Mais même pour les USA et leur planche à billets magique, la contradiction fondamentale liée à la déterritorialisation de la production et des déficits commerciaux qu'elle produit a définitivement cassé la machine économique. Les relances relatives de l'activité retombant régulièrement à plat faute de demande locale solvable. Et ce ne sont pas les exemples espagnols ou grecs qui contrediront cette réalité. L'on peut donc dire que la première partie de la crise est terminée, les pays déficitaires n'ont plus de croissance. Pour rétablir leurs équilibres, ces derniers ont fait flamber leur chômage et ont définitivement condamné une partie immense de leur population à la misère et au chômage. C'est en Europe que cet aspect de la mondialisation est le plus visible parce que les pays européens n'ont plus la maîtrise de leur monnaie ce qui aggrave les contradictions inhérentes à la mondialisation libérale.
La seconde étape de la crise est donc l'entrée dans le bain glacial de la croissance lente, voire nulle, des champions officiels de la mondialisation à savoir l'Allemagne et la Chine. Car si les sophismes libéraux expliquent en apparence très bien la crise des vilains petits canards adeptes de gabegie budgétaire, ils auraient bien du mal à expliquer la panne des économies exportatrices et si raisonnables sur les salaires. Comment l'Allemagne dont les salaires font du sur place et les excédents s'accumulent pourrait-elle connaître la crise ? Comment la fourmi pourrait-elle mourir de faim en même temps que la cigale ? Comment la Chine et son prolétariat pourraient-ils ne plus avoir de croissance ? Dans la logique libérale, c'est la quadrature du cercle, c'est inexplicable. Les rentiers vont devoir changer de théorie pour justifier la défense permanente de leurs intérêts.
La mondialisation c'est l'international des rentiers
Car au final les libéraux et leurs théories ne sont rien d'autre qu'un cache-sexe rhétorique aux luttes d'intérêts. Ils justifient la rente là où leur glorieux ancêtre croyait la combattre, mais ce n'était évidemment pas le même type de rente ni la même époque. La rente sous toutes ses formes, qui est le cœur du capitalisme, cherche sans arrêt des moyens pour justifier sa propre existence. Mais elle a atteint aujourd'hui un poids tel qu'elle met en danger l'existence même de la civilisation et des peuples. Le constat de Thomas Piketty est d'ailleurs sans appel sur cette question même si cet économiste du sérail se targue bien de donner des solutions réelles à cette problématique. En effet, vouloir dégonfler la rente sans s'attaquer à ce qui la nourrit à savoir le libre-échange et la liberté de circulation des capitaux c'est abdiquer sans combattre. Avoir une fiscalité confiscatoire et une politique monétaire inflationniste n'est pas viable dans un monde libre-échangiste.
La crise n'est pas le fruit du hasard du calendrier ou la résultante d'une mauvaise gestion comme le stipule sans arrêt le vocable limité des thuriféraires du libéralisme. La crise est le produit d'un monde sans frontière, sans règle collective et sans direction politique. La crise est le résultat de la gestion par le marché, la finance et les intérêts individuels des politiques économiques publiques. C'est le fruit d'une accumulation de richesse virtuelle d'un côté et d'un appauvrissement invraisemblable des forces réellement productives de l'autre. Et la seule manière de rendre à la rente sa taille inoffensive c'est de rendre aux salariés et aux forces productives leurs poids à travers des politiques de relocalisation des activités par le protectionnisme et par des politiques monétaires expansionnistes associées. La phase deux de la crise qui pointe à l'horizon à travers la panne progressive de l'Allemagne et surtout de la Chine va mettre à mal à nouveau le système financier international. Mais il va surtout mettre à mal l'argumentation libérale du bon élève qui gère bien ses deniers. C'est une nouvelle occasion à saisir pour les alternatifs, une dernière avant que le monde ne sombre dans des problématiques qu'il n'avait pas connues depuis la Seconde Guerre mondiale. Il se pourrait également que les rentiers changent de discours et troc le libéralisme déclinant par une théorie justifiant le misérabilisme généralisé. Une théorie comme la décroissance écologique par exemple. Vous vous appauvrissez, mais c'est normal, il faut sauver la planète.