Nous avons vu rapidement dans la première partie l'importance du protectionnisme dans une action visant la réindustrialisation. Le protectionnisme doit accompagner les objectifs d'autonomie industrielle et de souveraineté. Notre ancien prix Nobel d'économie Maurice Allais pensait qu'il fallait subvenir à nos besoins à environ 80% dans chaque domaine. Il pensait à juste titre qu'un protectionnisme prenant la forme de quota (insensible aux variations du taux de change, puisque fixé en volume) à hauteur de 80% permettrait à long terme à la fois une protection suffisante pour permettre à la production nationale de vivre tout en ayant une ouverture suffisante pour permettre aux innovations venues d'ailleurs de pénétrer quand même le pays . Dans une forme de sagesse pragmatique, Allais, bien que libéral, convenait ici qu'il fallait impérativement mettre des écluses qui s'ouvrent et qui se ferment pour permettre à l'industrie nationale de perdurer. Les seules positions radicales sur ce sujet sont donc en fait l'ouverture délirante sans limite à l'image de ce que nous pratiquons aujourd'hui avec les réglementations de l'UE, et le contraire, la fermeture totale qui auraient des conséquences de retard scientifiques à long terme.
Il est bien important de faire comprendre qu'être protectionnisme ce n'est pas être radicalement pour la fermeture. Il s'agit de permettre une autonomie industrielle nationale garantissant ainsi la souveraineté du peuple français sur des sujets essentiels. Car la souveraineté industrielle et technique est aussi importante que la souveraineté politique et militaire. Ne pas maîtriser les systèmes techniques essentiels à la vie de tous les jours de notre population c'est donner du pouvoir à d'autres nations sur la conduite de nos vies et sur la façon dont nous nous organisons et dont nous voyons le monde. On l'a vu récemment avec la question de twitter et du rachat par le milliardaire américain Elon Musk. Est-il normal que des individus américains, aussi sympathiques soient-ils, puissent avoir autant d'impact sur la façon dont les Français peuvent s'exprimer ou non sur un média ? Est-il normal qu'une entreprise américaine soit le principal lieu d'expression de nos concitoyens ? Est-il normal que nos ordinateurs soient à ce point dépendant de logiciels et de matériels étrangers que nous sommes à l'heure actuelle totalement incapables de produire nous-mêmes ? Cet état de fait nous met directement sous l'influence de choix, du droit et de croyances étrangères. Il ne s'agit pas ici d'une critique envers les USA, cela serait tout aussi valable si la dépendance était chinoise ou allemande. Il s'agit de convenir du fait que la souveraineté technique et autant importante que la souveraineté politique et militaire dans le monde moderne.
Il est évident cependant que cette contrainte dépend du secteur technique en question. Nous ne sommes plus au 19em siècle, une époque où très peu de pays maîtrisaient par exemple les techniques avancées de l'industrie. Mettant ainsi les pays en développement sous l'influence exubérante des quelques puissances industrielles d'alors. Il y a aujourd'hui beaucoup plus de joueurs, ce qui permet à un pays qui a un manque dans certains domaines de jouer sur la concurrence. Mais cela n'empêche pas tout de même cette question d'être extrêmement importante. On le voit dans la volonté des USA de revenir dans la course dans les semi-conducteurs puisque Washington force la main de Taïwan pour récupérer la production industrielle des semi-conducteurs à la finesse de gravure la plus fine actuellement sur terre. Un avantage technique que Taïwan a mis quelques décennies à construire. Washington veut mettre la main sur cet avantage pour ne plus dépendre de l'île et donc indirectement de la Chine. Il s'agit directement d'une politique protectionniste où les USA utilisent la menace militaire pour obtenir ce qu'ils veulent. La peur de la Chine conduit Taïwan à accepter un accord qui va leur coûter très cher à long terme. On pense ici aux défenseurs du libre-échange qui nous parle de libre concurrence non faussée dans les traités européens et l'on rigole un peu. Tout ceci n’est que de la politique pas de la libre économie mue par l'homo œconomicus des idéologues libéraux. Et l'UE reste de marbre en regardant tout ceci sans rien faire pour en profiter pour reprendre un peu d'autonomie dans un secteur où elle est pourtant cruellement absente. Elle se regarde dépérir sans rien faire en se faisant largement dépecer par l'Oncle Sam au passage. Il faut espérer que cette attitude et la crise énergétique que nous traversons finiront par ouvrir les yeux même aux plus gros européistes. L'UE est la maladie de l'Europe.
Les secteurs clefs prioritaires pour notre autonomie stratégique :
-Les semi-conducteurs . Un secteur dont nous sommes largement dépourvus et qu'il va nous falloir créer de toute pièce. Nous aurons nécessairement besoin d'un soutien étranger, essentiellement asiatique pour y parvenir.
-L’énergie . On en a parlé lors de mon texte récent sur l'énergie, je n'y reviens pas. C'est un secteur essentiel .
-L'armement qui doit être 100% conçu et réalisé en France
-Les industries chimiques et médicales
-Le domaine des logiciels
-Le domaine de la diffusion culturelle
Les domaines que je cite ici sont des domaines qui me semblent prioritaires pour l'autonomie nationale à long terme. Il ne s'agit pas ici juste de retrouver une balance commerciale à l'équilibre ce qui bien entendu est aussi un objectif de la politique protectionniste et industrielle. Mais aussi et surtout de retrouver une capacité à produire nous même ce qui est essentiel à la vie quotidienne moderne de nos concitoyens. Et ce n'est pas un hasard si en dernier j'ai rajouté quelque chose qui pourrait paraître à première vue secondaire . Le domaine de la diffusion culturelle. Ce que j'entends par diffusion culturelle ce sont les moyens par lesquels nos concitoyens regardent des œuvres à caractère culturelles . On pensera tout de suite aux grands sites de streaming comme Netflix ou Amazon Prime. Notre protectionnisme culturel actuel est resté coincé dans les années 70 avec la politique du CNC qui promeut un cinéma français qui ne vaux plus grand-chose à l'heure actuelle, je dois bien le dire. Il s'agit d'une forme de protectionnisme désuet qui a eu aussi comme conséquence un copinage excessif et une baisse qualitative tendancielle. On le voit, le protectionnisme doit être pensé dans le temps et dans l'espace. S'il a eu un effet dans les années 70-80 sa trop longue durée sous forme de subvention financée par les places de cinéma essentiellement produite par des œuvres américaines a favorisé le clientélisme . La maison du cinéma français, loin d'avoir soutenu de nouveaux talents a perpétué des héritiers.
Et non content d'avoir eu des effets délétères sur le cinéma français, ce protectionnisme archaïque n'est plus du tout adapter à la situation présente. Le cinéma et la télévision classique sont probablement condamnés à disparaître à terme, or nous ne contrôlons rien des nouveaux canaux de diffusion. Est-il normal que des entreprises privées essentiellement américaines contrôlent à 100% les œuvres qui seront diffusées aux yeux de nos concitoyens ? Sachant l'importance de la production cinématographique et télévisuelle en termes d'information dans une société qui lit de moins en moins et dont la culture générale tend à s'affaiblir ? Quid des œuvres qui sortent des sentiers battus et qui ne sont pas bankable comme disent les Anglo-saxons ? Ne doit-on pas s'inquiéter de voir deux ou trois entreprises américaines se partager la totalité de la distribution d’œuvre télévisuelle et cinématographique à l'échelle mondiale? Quelle affreuse uniformisation du monde que ceux-ci ! Ces entreprises ne sont pas là pour faire de l'art ou de la création, mais bien du business. Quel appauvrissement absolu que de voir la seule logique marchande régir toute la création humaine dans le domaine ! Et c'est bien ce vers quoi nous allons si nous laissons le « marché » réguler tout seul cette question.
À mon sens la diffusion des œuvres culturelles est un bien public . Et c'est même un monopole qui devrait être public. En effet, la tendance de la population est de ne pas vouloir avoir plusieurs diffuseurs . Les gens souhaiteraient n'avoir qu'un seul abonnement à souscrire pour voir toutes les œuvres existantes. Dans un secteur de concurrence, il est évident que cela n'est pas possible à l'heure actuelle, du moins tant qu'il y a encore de la concurrence, les fusions et les rachats pouvant vite entraîner un monopole privé dans le domaine. La France pourrait mettre fin aux diffuseurs privés et créer un diffuseur public . Il ne s'agit pas ici d'interdire les productions étrangères, mais d'interdire la diffusion par des canaux sous contrôle étrangers. Les œuvres américaines pourraient ici être diffusées à travers ce canal public national. Il y aurait de nombreux avantages. D'une part, les Français n'auraient plus qu'à souscrire à un seul abonnement pour tout voir. Le revenu des œuvres diffusées serait évidemment rémunéré au prorata de l'audience de l’œuvre. Mais grâce au contrôle de la diffusion, nous pourrions aussi promouvoir des œuvres moins connues et moins mises en avant par le système commercial développé par les ténors du secteur et leurs algorithmes secrets.
L'autre avantage c'est que nous pourrions aussi financer des œuvres nationales par ce système avec un système similaire à celui du CNC, mais à ceci près que c'est le spectateur qui punirait ou récompenserait par des subventions les œuvres françaises à travers l'audience. En maîtrisant les tuyaux de la diffusion des œuvres culturelles, nous nous mettrions à l'abri d'un contrôle étranger dans un secteur clef de notre indépendance nationale. Parce que la nourriture de l'esprit est aussi essentielle que l’école à la formation des citoyens, nous ne pouvons laisser une telle chose aux mains des Américains.
Dernier secteur dont je parlerais rapidement celui du logiciel . À vrai dire je pense qu'il s'agit du secteur où l'autonomie stratégique pourrait être obtenue le plus rapidement avec un peu de volonté politique. En premier parce que l'informatique est un des rares secteurs où nous avons encore pas mal de compétences en France . Ensuite parce que les logiciels sont facilement reproductibles, copiables et qu'il existe depuis longtemps un monde du logiciel libre à l'échelle mondiale. De nombreux informaticiens se sont rapidement rendu compte du danger de laisser à quelques entreprises le soin d'imposer leur OS (operating system) et leur norme. Toute la branche des logiciels libres comme les OS Linux est née de ces évidences dans les années 90. Le temps venu nous pourront donc nous appuyer en partie sur cette immense collection de logiciel et d’algorithmes libres de droits pour reconstruire une autonomie stratégique dans le secteur.
Dans la prochaine partie du texte, nous réfléchirons à l'importance d'une restructuration du système financier français pour reconstruire une vraie politique industrielle.