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23 février 2024 5 23 /02 /février /2024 15:50

 

« Je me sens donc plus proche de ceux qui souhaitent diminuer l'imbrication des économies nationales que de ceux qui voudraient l'accroître. Les idées, le savoir, la science, l'hospitalité, le voyage, doivent par nature être internationaux. Mais produisons chez nous chaque fois que c'est raisonnablement et pratiquement possible, et surtout faisons en sorte que la finance soit nationale. Cependant, il faudra que ceux qui souhaitent dégager un pays de ses liens le fassent avec prudence et sans précipitation. Il ne s'agit pas d'arracher la plante avec ses racines, mais de l'habituer progressivement à pousser dans une direction différente. »

 

De l'autosuffisance nationale John Maynard Keynes Londres 1933

 

 

Je suis toujours éberlué par la capacité des économistes libéraux à être à ce point aveugle aux conséquences de leurs propres doctrines. Un cas exemplaire est celui de l'économiste Nicolas Bouzou que les médias font apparaître un peu partout avec un tampon « d'économiste ». Un spécialiste ne saurait être un idéologue ou un défenseur d'intérêt particulier. Non, il est juste économiste, un comme les médecins défendant l'industrie pharmaceutique durant la crise du Covid. Pour ce monsieur, tout va bien en occident, il n'y a pas d'effondrement. Il fait partie de ces économistes qui n'ont comme sens de la mesure du réel que le PIB exprimé en dollar, les taux de chômage sans questionnement et une ignorance totale des questions commerciales et des déficits cumulés en la matière. Peu importe l'effondrement de l'espérance de vie, la hausse de la mortalité infantile que ce soit aux USA ou en France. Peu importe également l'échec de l'OTAN face à la Russie en Ukraine. Non tout va bien en occident, puisque Nicolas Bouzou le dit ça doit être vrai.

 

Les esprits les plus alertes auront déjà remarqué la très grande ressemblance entre les libéraux actuels qu'ils soient néo ou autre chose, avec les communistes de la fin de l'URSS. C'est dans ce genre de situation que l'on remarque le caractère profondément religieux de ces idéologies. Loin d'être seulement une façon de voir les choses qui pourraient être respectables si de temps en temps elles acceptaient le réel qui les contredit. Leur acharnement à ne pas vouloir reconnaître des erreurs impliquant peut-être des raisonnements erronés, montre ce caractère religieux. On pourrait d'ailleurs dire la même chose de l'européisme qui est un cousin très proche et convergeant avec l'idéologie libérale. Les apôtres de l’Européisme ayant souvent la double casquette idéologique européenne et libérale. Si j'ai commencé ce texte par cette célèbre citation de Keynes qu'il a écrit dans son texte « National Self-Sufficiency », c'est que le sujet du jour est l'autosuffisance nationale. Un véritable gros mot par les temps qui courent, mais un sujet que j'ai régulièrement abordé, même si je n'ai certainement pas le talent d'un Keynes. Précisons d'ailleurs que Keynes fut longtemps lui-même un libéral. Il se considérait comme tel d'ailleurs. Mais la crise de 1929, et la vision d'un libéralisme incapable de résoudre les problèmes, l'ont fait changé d'avis. Il était devenu clair pour lui que le libéralisme ne pouvait pas résoudre la crise et que bien au contraire le laissez-faire conduisait l'humanité à de plus grandes catastrophes.

 

En un sens, la crise actuelle de la globalisation et la situation géopolitique du monde est assez semblable à celle de 1929 même si les acteurs et les rapports de forces sont différents. On a une crise qui est latente, et qui est en grande partie le produit de la dérégulation et du libre-échange de la période des années 70-90. La globalisation est allée beaucoup plus loin que dans les périodes de crises précédentes que ce soit au 19e siècle ou au début du 20e. Jamais les économies n'avaient été autant interdépendantes, et jamais des régions entières n'avaient été autant vidé de leurs capacités de production. La globalisation libérale a réussi le tour de force de faire perdre à l'occident ses siècles d'avance industriel et technologique en l'espace de deux générations. C'est une prouesse qu'il faut noter et qui restera marquée dans l'histoire comme la plus grande bêtise qu'une civilisation n'est jamais réalisée à un tel rythme. Il ne s'agit pas ici de critiquer la montée de la Chine et du reste du monde. En soi c'est une bonne chose. Mais de souligner qu'il s'agissait clairement d'un suicide collectif pour les sociétés occidentales. Le tout mue par le calcul égoïste de certaines classes sociales qui ont vu dans le libre-échange un moyen commode et pratique d'écraser les classes sociales laborieuses de leurs pays respectifs. On ne le dira jamais assez, la véritable motivation au libre-échange n'a jamais été la croissance, cette dernière n'a d'ailleurs jamais cessé de baisser en occident depuis les années 70. Le vrai but a toujours été la domination de certaines classes sociales sur d'autres.

 

Nous arrivons donc désormais à la fin du cycle libéral même si les libéraux ne veulent pas le voir. La globalisation a concentré les activités productives à certains endroits et les consommateurs dans d'autres en particulier en occident. Le résultat est bien évidemment des déséquilibres commerciaux monstrueux qui remettent petit à petit en cause la capacité des anciennes puissances industrielles à s'endetter et donc à continuer de consommer les produits importés. Ce faisant cette crise de la demande se transforme aussi en crise de surproduction dans les pays fortement industrialisés comme la Chine ou l'Allemagne. Faute de client solvable, le système capitaliste se cannibalise et produit du chômage. C'est particulièrement voyant en Chine ou malgré la très forte baisse du nombre de jeunes, le chômage explose chez cette catégorie de la population. Le modèle mercantiliste de ces pays n'est viable que tant que les pays qui cherchent à accumuler des excédents ne sont pas trop gros par rapport aux pays qu'ils parasitent. Au-delà d'une certaine taille, ils tuent leurs hôtes en quelque sorte. Il est bien évident qu'un système économique mondial ne peut être viable que si toutes les régions du monde équilibrent à peu près leurs balances des paiements. Sans quoi des crises arrivent inéluctablement.

 

La différence entre Keynes et les libéraux c'est que les seconds pensaient qu'en laissant faire le marché, la régulation se ferait tout seule, par la magie de la main invisible. Pour Keynes il n'y avait aucune raison pour que la somme des intérêts individuels accouche comme par magie de l’intérêt collectif. Il n'y avait donc aucune raison pour que le libre-échange accouche naturellement d'un monde en équilibre macro-économique et commercial. On pourrait ici discourir longuement sur l'origine de ces disparités commerciales. La structure familiale, le rapport à la consommation, les avantages en terme éducatif géographique sont autant de facteurs explicatifs de ces disparités. Les libéraux peuvent pleurer sur ces déséquilibres, le fait est qu'ils sont là et qu'ils produisent des crises à répétition. Il est donc primordial si l'on est un peu rationnel de prôner un rééquilibrage macro-économique, ce qu'aucun libéral ne prône jamais. Enfin sauf pour prôner de fausses mesures, en parlant de réduction des salaires ou des politiques sociales. Comme si la baisse des charges pouvait suffire à rééquilibrer le commerce français par exemple. On est là sur de fausses solutions démagogiques, mais ce sont pourtant tout le temps celles-ci qui sont mises en avant par les médias et les économistes de plateau télé. Un économiste libéral, mais un peu plus sérieux pourrait au moins prôner une solution plus positive comme une hausse de la consommation de produits importés par les pays en excédent par exemple. Il n'y a bien sûr aucune chance pour que la Chine par exemple choisisse une telle direction, mais théoriquement cela pourrait résoudre une partie du problème.

 

La réalité c'est que la globalisation a créé une économie mondiale ingouvernable. Nous en avions déjà parlé dans plusieurs textes. La suppression des frontières et l'interdépendance conduisent à l'incapacité des états à agir. Seules les plus grosses puissances peuvent encore agir sur leurs économies, et encore. Cette impuissance conduit à la mort de la démocratie puisque cette dernière n'existe que si le pouvoir pour lequel on vote a encore du pouvoir sur les questions essentielles. Ce n'est plus le cas. La question de l'autosuffisance n'est donc pas seulement une question purement économique, c'est aussi et surtout une question de liberté politique et d'autonomie des peuples. Il vaut peut-être mieux avoir un niveau de vie légèrement inférieur avec des prix un peu plus élevés si cela permet une véritable démocratie et la paix civile. C'est tout le propos de Keynes dans la citation du début. Nous reparlerons de la façon de rendre à notre nation son autonomie macro-économique dans le prochain texte. Le chemin sera long, mais ce sera nécessaire si nous voulons à nouveau œuvrer à la paix civile et à la démocratie. La tendance oligarchique actuelle ne pourra que produire de plus en plus de conflits jusqu'à un retour à des formes de guerre civile. Le calcul des gains produit par la globalisation apparaîtrons alors pour des idioties absolues tant le prix à payer pour l'avoir apparaîtrons comme démesuré.

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19 février 2024 1 19 /02 /février /2024 15:43

 

L'économie du Brésil

 

Nous avons vu dans la première partie que le Brésil était démographiquement dans les conditions idéal pour connaître un décollage économique. Le passage d'une société à forte fécondité et basse mortalité infantile à celui d'une faible natalité passe par un pic de la population active en proportion de la population totale. C'est ce phénomène de transition qui explique en partie le décollage de plusieurs régions du monde y compris la nôtre dans les années 50-70. Moins de bouches à nourrir et plus de travailleurs disponibles produisent une accumulation du capital beaucoup plus facile. Cela a facilité également la hausse du niveau scolaire global de la population parce que les familles ayant en charge moins d'enfants peuvent investir plus d'argent par tête dans l'éducation de ces derniers. Ce raisonnement poussé à l'extrême explique d'ailleurs sans doute en partie l'effondrement des naissances en Asie en particulier. Les parents cherchant l'excellence préfèrent n'avoir qu'un enfant et tout donner pour qu'il réussisse. Produisant à la fois d'excellents élèves, mais aussi de grands dépressifs à cause de la pression parentale qui s'exerce sur eux.

 

Nous allons donc commencer cette partie consacrée à l'économie par l'évolution de l'instruction au Brésil. Car l'éducation est l'autre facteur du développement humain. Pour se développer, on a besoin de techniciens, d'ouvrier spécialisé et d'ingénieurs, chose qu'on a un peu oubliée en France ou aux USA. Si l'on regarde le niveau d'alphabétisation, le Brésil revient de loin. Les pays d'Amérique du Sud étaient la partie de l'occident la plus en retard sur ce plan. Je dis d'occident parce que je considère ces régions comme culturellement occidentales. Ce sont après tout des pays peuplés en grande partie de descendants d'Européens et dont la matrice culturelle et linguistique est hispanique et lusitanienne. L'occident à mes yeux n'est pas une question de niveau de développement ou d'appartenance à l'Empire américain dont on peut en réalité se demander s'il est encore occidental avec ses évolutions culturelles de ces dernières décennies. De fait, ce retard est visible au Brésil, en 1960 seulement 60% de la population savait lire et écrire à une époque où l'Europe et les USA étaient déjà proches des 100% et avait entamé une massification de l'enseignement supérieur. Aujourd'hui, le taux est de 92%, ce qui signifie près de 100% dans la jeune population. Ce sont les personnes âgées des générations précédentes qui pèsent sur la moyenne nationale. Le pays a donc les qualités éducatives de base pour décoller sur le plan industriel.

 

 

Sur le plan de l'enseignement supérieur, les chiffres sont très intéressants. Le pays connaît un boom de l'enseignement supérieur. En 2020 il y avait près de neuf millions de jeunes faisant des études supérieures sur un peu plus de 16 millions en âge de faire des études supérieures. C'est un très bon taux d'étudiant. Plus intéressants encore, les jeunes Brésiliens semblent pour beaucoup se destiner aux sciences. Sur le tableau suivant qui vient du site campusfrance.org on peut voir l'attrait pour les sciences qui attirent 21% des jeunes. C'est d'autant plus correct que les sciences dures sont séparées de l'informatique et l’ingénierie, qui elles font carrément 34,6%. Cela veut dire que la moitié des jeunes qui font des études supérieures au Brésil se destinent aux sciences en général et seront donc potentiellement employable par l'industrie dans l'avenir. On est très loin des chiffres calamiteux français. Alors le tableau représente le choix des étudiants boursiers, mais il n'y a pas de raison de penser que le choix des autres étudiants soit très différent sur le plan statistique. Cela signifie une vraie dynamique sur le plan éducatif dans un pays extrêmement peuplé. On a donc un pays encore jeune dont les actifs sont très nombreux par rapport aux inactifs et qui en plus voit sa jeunesse augmenter rapidement en niveau de formation et qui s'oriente vers le cœur du dynamisme économique les sciences et techniques.

 

On comprend dès lors mieux pourquoi le Brésil décolle aujourd'hui alors qu'il avait jusque là échoué. Ce n'est pas le fruit du hasard ou l'action d'un homme providentiel, mais bien le fruit d’une évolution sociodémographique à long terme. En réalité dans ces conditions, même une mauvaise politique macroéconomique ne peut probablement pas arrêter la croissance et le développement. Seuls un conflit ou des décisions vraiment absurdes le pourraient, mais le Brésil a la chance de ne pas avoir Emmanuel Macron comme président. Pourtant, la croissance brésilienne n'a décollé que ces deux dernières années. On remarque une très faible et une croissance et même quelques années de récession entre 2013 et 2020. Le décollage actuel pourrait donc ne pas être durable malgré les avantages que cette nation possède. Si on parle en termes de poids économique pur, le PIB exprimé en parité de pouvoir d'achat de ce pays le classe quatrième puissance mondiale derrière la Chine, les USA, et le Japon. Pour rappel la France n'est probablement même plus dans les dix premières puissances économiques du monde. Après tout, dépends du calcul de parité, de l'inflation et d'autres facteurs. Mais il est clair que le Brésil est une véritable grande puissance qui pèse déjà.

 

 

Cependant ce pays qui a, comme on l'a vu, tout pour réussir, semble embarqué dans quelques erreurs de stratégie macroéconomique. En effet, si l'on regarde la balance commerciale du Brésil, on constate des déficits sur une longue période. Le Brésil comme la plupart des pays d'Amérique latine est sous l'influence de l'idéologie néolibérale plus ou moins directement. Le succès d'un pays a été accroché à l'idée que le libre-échange était une bonne chose. Je ne crois pas d'ailleurs que Lula qui est revenu au pouvoir ait une quelconque envie de revenir sur cette question. Il existe à l'heure actuelle des barrières protectionnistes générales au Brésil, mais elles sont moindres avec la Chine qui a des accords bilatéraux depuis 1978. Ce pays a signé divers accords de libre-échange le plus célèbre étant l'organisation du Mercosur. Mais comme on le verra ensuite c'est le commerce avec la Chine qui pose problème Il y a par ailleurs des accords de libre-échange en discussion à l'heure actuelle entre l'UE et le Mercosur auquel appartient le Brésil. Il s'agit là à mon sens du véritable problème du Brésil. L'absence d'une véritable politique industrielle a fait retomber ce pays dans sa spécialisation classique, celle de pays producteur de matières premières et de produits agricoles.

 

 

Si les USA ont cessé d'être leur principal partenaire commercial, c'est la Chine qui joue aujourd'hui ce rôle. Mais on constate un rapport quasiment colonial d'un point de vue commercial entre les deux pays. Le Brésil important énormément de bien de technologie avancé chinois. Ce qui signifie qu'il n’y a pas de développement des capacités de production locale. Un phénomène qui se voit dans la part du PIB de l'industrie qui s'est cassé la figure à partir de 2010. Et comme vous pouvez vous en douter, c'est la Chine qui représente la plus grosse part du déficit commercial brésilien. On retrouve ici un peu la même situation qu'entre l'Inde et la Chine. Le mercantilisme chinois associé à une absence de politique et de stratégie industrielle nationale favorise un échange asymétrique qui ne pourra pas durer éternellement. D'une part parce que cela casse la croissance économique du Brésil. Ensuite parce que comme on l'a vue ce pays est par ailleurs extrêmement dynamique sur le plan démographique et éducatif. Un scénario à la portugaise où le pays se laisserait mourir en faisant partir ses jeunes est pour l'instant exclu à mon avis. Le Brésil est encore jeune et on peut plutôt penser à des révoltes et des phénomènes de colère populaires face à la situation du pays.

Car même si les inégalités ont reculé, la dette extérieure est un problème qui risque à long terme de pousser le Brésil dans des situations similaires à celles de son voisin argentin. La baisse du chômage récent donne des signes d'espoir d'autant que l'emploi industriel semble donner quelques signes de remontée, mais ce dernier ne représente plus que 20% de la population active contre près de 25% en 2014. On pense souvent que la globalisation a détruit l'industrie dans les pays avancés comme la France ou les USA et c'est tout à fait vrai. Mais cela a concerné aussi bon nombre de pays dans le monde. Le Brésil en est un exemple. La chine a aspiré une grande partie de l'activité productive mondiale, y compris celle des pays en voie de développement malgré leurs faibles salaires. Dans le contexte d'un marché mondial, la spécialisation du Brésil devrait être les productions agricoles et le secteur des matières premières. Pas vraiment de quoi occuper entièrement une société dynamique sur le plan scolaire.

 

 

Dernier point sur les inégalités territoriales. Comme on l'a vue, les différentes ethnies au Brésil sont relativement séparées sur le plan spatial au nord, les métis et les noirs au sud les blancs d'origine européenne. À cela s'ajoute une forte disparité de revenu entre le nord et le sud, la richesse étant surtout dans le sud comme l'indique cette carte du développement humain au brésil. Je ne connais pas assez bien ce pays pour savoir si des tensions séparatistes peuvent poindre un jour ou l'autre, mais il y a factuellement des conditions qui pourraient y mener. Il s'agit là probablement du plus grand talon d’Achille de cette nation. Nous voyons donc que si ce pays a un immense potentiel, ce dernier risque de ne pas en profiter s'il ne change pas d'orientation macroéconomique. Le pays devrait s’atteler à développer avant tout son industrie nationale au risque de perdre quelques marchés d'exportation et de se fâcher un peu avec la Chine. L’asymétrie commerciale n'est pas une bonne chose et je ne pense pas que ce Brésil souhaite troquer la domination néfaste des USA par celle de la Chine. Si le laissez-faire continue, c'est pourtant bien ce qui risque d'arriver à terme. Ce n'est pas la première fois que les pays d’Amérique du Sud souffrent du libre-échange et d'une absence de politique industrielle. C'est d'ailleurs à cause de cette idéologie qu'ils ont pris un énorme retard sur le reste de l'occident au 19e siècle. Le problème c'est qu'une politique industrielle nécessite une projection dans le temps. Or le Brésil comme la plupart des pays d'Amérique latine est sujet à de violents phénomènes de changement politique. On le voit dans le passage entre Bolsorano et Lula. Difficile de faire une politique de continuité macroéconomique quand deux camps aussi disparates se succèdent. Pourtant il serait nécessaire par exemple que le Brésil ait une politique constante de substitution des importations industrielles par des productions locales pour monter en gamme petit à petit. Une politique qui n'est pas seulement protectionniste, mais qui passe aussi par une stratégie étatique à long terme. Il serait triste que le Brésil ne brille à l'avenir que comme fournisseur de main-d’œuvre qualifiée pour d'autres nations comme c'est malheureusement le cas aujourd'hui du pauvre Portugal.

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12 février 2024 1 12 /02 /février /2024 15:51

 

La récente crise agricole que le gouvernement et la FNSEA ont réussi momentanément à calmer ont remis au cœur du débat public la question du libre-échange et de la construction européenne. Évidemment, le système médiatique qui est aujourd'hui largement aux mains de puissances d'argent a déployé beaucoup d'effort pour noyer le poisson et éviter que l'on ne remette trop en question les principes du saint libéralisme économique et son principal organe de promotion qu'est la construction européenne. Les médias ont donc fait feu sur les normes et la bureaucratisation produit par le système européen. Dans cette stratégie on peut dire que l'écologisme théâtral qui a servi de justification à tout un tas de mesures plus ou moins discutable a été utilisé en quelque sorte comme contre-feu face à la colère agricole. Je ne vais pas débattre ici de l'intérêt de certaines interdictions de produits chimiques et d'intrant divers. Je ne vais pas non plus débattre de l'intérêt écologique de telle ou telle mesure d'interdiction. Certaines sont sûrement justifiées, d'autres moins, il y a aussi des pressions liées à des lobbys qu'ils soient industriels, ou provenant d'organisations écologistes. Je ne suis pas spécialiste de la question, ni chimiste, ni agriculteur, ou agronome. Je constate juste que l'état pour se départir de la crise agricole provoquée en réalité par le libre-échange débridé a préféré botter en touche et réduire les normes environnementales plutôt que de toucher à l'UE et au libre-échange.

 

Cela dénote le sens des priorités de nos gouvernants. Même la question écologique dont ils ne cessent de promouvoir en apparence l'importance passe après l'idéologie libérale qui leur tient lieu de gouvernail. Les dogmes du libéralisme sont à ce point puissant qu'ils passent avant l'intérêt de la population, de nos agriculteurs, mais également devant la nouvelle peur de l'an mille qui frappent nos élites sur la question de l'écologie. Vous allez me dire qu'on l'avait déjà remarqué pendant la période du COVID. En effet, pendant cette sombre période on se souvient très bien que nos gouvernants ont été plus prompts à enfermer leurs citoyens chez eux, entraînant ainsi un effondrement économique, qu'à fermer les frontières commerciales pour ralentir la progression de l'épidémie. Là encore, il ne s’agit pas de juger si ces mesures étaient bonnes ou pas, mais de constater le sens des priorités de nos dirigeants prétendument éclairés. Le libre-échange est vraiment devenu un idéal-type consubstantiel à l'identité des élites françaises, et plus généralement occidentales. Plus qu'un attrait théorique, il s'agit maintenant d'une cause identitaire qui définit la réalité bourgeoise. Il faut être ouvert aux autres, donc pour le libre-échange, la libre circulation des capitaux, et des hommes. Remettre en question cet idéal revient à tomber dans l’extrémisme, être réactionnaire et anti-progressiste.

 

Ces affaires du COVID ou de la crise agricole ont en quelque sorte remis en exergue la qualité dogmatique et non rationnelle de cet attachement. Car il n'y a nul besoin de démontrer aux yeux des dominants les qualités de leurs idéale-type de l'ouverture totale. La plupart d'entre eux seraient d'ailleurs la plupart du temps bien incapables d'en démontrer en pratique l'intérêt pour la France et son économie. Ils régurgiteront quelques phrases issues des vieux penseurs du libéralisme à l'image d'un Ricardo totalement anachronique. Telle est la réalité actuelle d'une quasi-religion d'État qui a littéralement ruisselé sur toutes nos élites sans que personne ne remette vraiment en question cet idéal, comme on aurait pourtant pu s'y attendre de la part de gens qui prétendent être des élites. Ce ne serait pas si grave cette croyance irrationnelle si elle n'avait pas des conséquences massives sur la société française et notre démocratie.

 

Souveraineté et démocratie

 

L'on revoit ces images de 2020, 2021 d'une France incapable de produire des masques pour protéger sa population pendant la crise épidémique. Le gouffre que l'on a pu voir entre la puissance de réaction des nations asiatiques et l'occident a mis sous les yeux des projecteurs la réalité des rapports de force productifs entre ces deux régions du monde. D'un côté, on a un occident incapable de produire le minimum syndical pour protéger, ou faire semblant de protéger, sa population. De l'autre l'Asie en particulier la Chine et la Corée qui démontraient des capacités d'adaptation très rapide grâce à leur ingénierie. Il ne s'agit pas ici encore une fois de parler de la justesse des mesures, mais de mettre en valeur le fait que l'occident à cause des quarante années de libre-échange n'est même plus capable de gérer des crises sanitaires sans soutien industriel extérieur. C'est d'ailleurs ce que soulignait Emmanuel Todd dans son dernier livre dont nous avons déjà abondamment parlé. Nous le voyons encore aujourd'hui dans la crise des médicaments et les pénuries à répétition que la globalisation produit de plus en plus.

 

Mais plus que ses conséquences économiques et sociales, il faut souligner le caractère antidémocratique du libéralisme économique et particulièrement celui qui est produit par le libre-échange et la libre circulation des capitaux. En effet, la démocratie est conditionnée par la capacité d'un état à agir en fonction de la volonté de la population dont il est censé être le défenseur et le représentant des intérêts. Mais pour pouvoir agir, cet état a besoin de contrôler certaines choses . « Jean Bodin, en 1576, dans Les Six livres de la République, la définit comme la « puissance absolue et perpétuelle d'une République ». L'État n'est subordonné à aucune autre entité et n'est soumis qu'à sa propre volonté. ». En clair, l'état doit avoir la souveraineté sur ses terres. Il doit battre monnaie, pouvoir décider de faire la guerre ou non, contrôler le budget et les frontières. On voit bien que la France en particulier ne possède plus aucun des attributs d'un état et d'une nation puisque nous avons tout légué à l'UE et à l'OTAN. Et au cœur de cette dépossession, il y a le libre-échange.

 

Car le libre-échange en rendant excessivement interdépendantes les nations les rend incapables d'action autonome et de choix particulier. C'était d'ailleurs l'un des vrais motifs du libéralisme qui penser mettre fin aux guerres en rendant ainsi les nations interdépendantes. Ce fut une grave erreur, car les nations les plus puissantes finissent par faire la guerre justement parce qu'elles sont dépendantes. On le voit très bien aujourd'hui avec l'Empire américain qui n'en finit pas de produire des conflits pour se maintenir parce que justement il est trop dépendant des importations pour renoncer à son dollar comme monnaie de réserve internationale. De l'autre côté, l'Empire chinois naissant use de ses capacités de production pour détruire l'autonomie des autres nations et ainsi faire progresser son propre agenda en utilisant les exportations comme une arme de chantage. C'était du reste exactement ce que faisait la Grande-Bretagne au 19e siècle qui se mit à prôner le libre-échange à partir du moment où son avantage comparatif lui permettait d'écraser toute forme de concurrence extérieure.

 

Avec ces crises qui vont de toute manière se multiplier à l'avenir, l'évidence devrait se généraliser. Il y a une contradiction fondamentale entre le système démocratique et le globalisme. Nous n'avons en effet pas fini de payer les conséquences du libre-échange puisque nos pays deviennent petit à petit des pays en voie de sous-développement. Il est aussi important de rappeler le lien quasiment charnel qu'il y a entre la souveraineté, l'autonomie productive et la démocratie. Produire est déjà un acte de souveraineté par définition. Renoncer à produire pour des calculs bêtement comptables à court terme c'est déjà renoncer un petit peu à sa souveraineté et donc à la démocratie. Car la démocratie ne peut pas exister sans souveraineté par définition. Il y a donc logiquement une contradiction entre vouloir le libre-échange et la démocratie en même temps. Le libre-échange ne peut exister dans un cadre démocratique qu'à l'intérieur d'une nation, dans un cadre égalitaire qui met les hommes sous le même régime, la même loi et les mêmes conditions de production. Autrement, il se transforme en contrainte qui met la liberté des citoyens en péril. Si un peuple décide d'avoir une production agricole plus respectable pour l'environnement, le marché global n'a pas à lui imposer un autre modèle. Or c'est très exactement ce qui se passe avec le libre-échange. Ce sont les nations qui ont le modèle le plus efficace au sens comptable du terme qui imposent leur modèle. Et il s'avère que cette optimisation comptable est rarement compatible avec des objectifs écologiques et sociaux. On voit donc bien que derrière la question de la crise agricole et du livre-échange se cache aussi la question de la souveraineté et de la démocratie.

 

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2 février 2024 5 02 /02 /février /2024 15:39

 

J'ai fini récemment le nouveau livre d'Emmanuel Todd. Je ne pouvais pas éviter d'en parler plus en profondeur. Étant un ancien lecteur de Todd, je ne pouvais pas passer à côté. Je ne vais pas étaler longuement les états de service d'Emmanuel Todd. Son succès médiatique est né de la prévision qu'il avait faite dans les années 70 du futur effondrement de l'URSS. À l'époque dans son livre « La chute finale », il s'était servi de la hausse de la mortalité infantile pour décrire l'URSS comme étant un régime politique en perdition. L'originalité des travaux d'Emmanuel Todd vient de sa capacité à utiliser des indicateurs non conventionnels pour décrire les situations des nations. Je m'inspire moi-même souvent de sa méthode et je lui dois beaucoup sur le plan intellectuel même si je ne suis pas toujours d'accord avec ses conclusions. Il y a d'ailleurs un autre auteur français qui s'inspire à mon avis beaucoup d'Emmanuel Todd et de sa méthode en la poussant encore à un niveau plus élevé, c'est Jérôme Fourquet, dont les livres pullulent de données pour décrire la réalité sous plusieurs angles. Les deux auteurs sont amis d'ailleurs autant que je sache même s'ils ne sont pas de la même génération.

 

Emmanuel Todd a aussi rendu populaires l'école historique des annales et les analyses de son professeur récemment décédé Emmanuel Leroy Ladurie. Il a construit une étonnante analyse liant structures familiales et comportement politique des populations. Pour schématiser, les populations ont une préférence de méthode de gouvernement et d'idéologie qui est en rapport avec la façon dont les familles fonctionnent. Des familles autoritaires et inégalitaires auront tendance à produire des nations où le tempérament politique est plutôt autoritaire à l'image de l'Allemagne ou du Japon par exemple. À l'inverse les familles à tendance plus libérale produiront des sociétés où l'idéologie libérale prendra corps. Cette façon de voir le monde lui a été en quelque sorte inspirée par l'idéologie communiste qui s'était répandue sur les territoires de familles communautaires comme la Russie et la Chine. En combinant évolution du niveau éducatif et structure familiale, Todd est arrivé à produire un schéma explicatif du comportement des nations tout à fait convaincant.

 

 

La défaite de l'occident

 

Ce petit préambule visait à recadrer les travaux de Todd. Il s'agit d'un résumé très succinct. Si vous ne l'avez jamais lu, je conseillerais surtout pour commencer « L'invention de l'Europe », « L'illusion économique » et « Après l'empire ». Je dis cela parce que l'une des critiques principales que l'on pourrait faire de son dernier livre est qu'il est assez succinct sur les outils intellectuels sur lesquels Todd s’appuie dans son analyse. Je pense que quelqu'un qui ne connaît pas son œuvre aura un peu de mal à trouver convaincants les arguments, ou à comprendre certains propos. Quoi qu'il en soit, commençons donc à parler du livre.

 

Les premiers chapitres sont à mon sens les plus solides. Et ils avaient besoin d'être solides parce qu'ils s'attaquent de front à l'idéologie dominante dans nos médias. Celles d'une Russie affreusement arriérée, pauvre, dictatoriale et en plein effondrement. On notera d'ailleurs que la page Wikipédia d'Emmanuel Todd a été modifiée par les idéologues du site puisque Todd est maintenant dépeint comme un propagandiste poutinien. Pour ceux qui douteraient encore de l'indépendance de Wikipédia, voilà encore une preuve du peu de sérieux du site en particulier sur les questions d'actualité. Évidemment tout ceci est ridicule. Todd s'appuie, comme je l'ai fait moi-même récemment dans mes deux textes consacrés à la Russie, sur des données réelles. Todd ne parle pas le russe, et il n'est pas allé récemment en Russie autant que je sache. Cependant en regardant les statistiques, ce que ne font jamais ni les journalistes ni les hommes politiques, on voit rapidement que la Russie sous Poutine a amélioré sa situation globale. Todd fait ce constat de manière implacable que ce soit au niveau de la mortalité infantile ou de l'espérance de vie, tout va beaucoup mieux en Russie aujourd'hui que sous Eltsine.

 

Sur le plan politique, Todd marque bien la préférence russe pour l'autorité et le collectif. Une marque héritée de la structure familiale communautaire. Il s'agit d'une différence de tempérament collectif. La Russie ne sera jamais libérale parce que ce n'est pas dans sa nature. Pas plus que la France ne peut réellement produire de régime autoritaire même si ses élites en rêvent. Todd appelle ici, comme il le fait depuis longtemps, à accepter les différences nationales. Notre aveuglement occidental qui pense le monde comme un truc uniforme peuplé d'homo economicus ne tient pas à l'analyse réelle des comportements nationaux. Mais nous y reviendrons lorsque nous parlerons de la dernière partie du livre. Après la Russie Todd analyse aussi rapidement la situation ukrainienne. Je dois dire que c'est la partie du livre que j'ai préféré. Ne connaissant guère ce pays à part sur les questions historiques un peu grossières comme l'origine de la Rus' de Kiev et l'occupation polonaise et lituanienne. Todd rentre ici dans la problématique d'un pays partagé en trois grandes parties sur le plan des structures familiales.

 

Une fragmentation familiale qui a entraîné une partition des comportements politiques et des rapports avec l'extérieur. En un sens, l'Ukraine rappelle un peu la France qui elle aussi a une grande fragmentation sur le plan familial entre familles nucléaires égalitaires centrées sur le bassin parisien et la famille souche qui est plutôt sur la périphérie et en Occitanie. La grande différence entre l'Ukraine et la France est que notre pays a eu pendant longtemps une monarchie forte qui s'est efforcée d'unifier le pays, par la force souvent. Alors que l'Ukraine à cause en partie de sa position géographique s'est retrouvée souvent en guerre et sous occupation de puissances étrangères, ce qui n'a pas vraiment facilité l'unification culturelle, religieuse et linguistique. Todd note également la source de la crise politique de l'Ukraine qu'il pense venir de l'effondrement des élites russophone de l'est du pays. Ces dernières ont été attirées par le développement et la croissance russe. Le fait de partager la même langue a poussé ces populations à aller s'installer en Russie ces vingt dernières années conduisant à l'effacement de l'élite russophone et favorisant ainsi l’extrémisme politique de l'ouest du pays. L'explication est effectivement convaincante.

 

La dernière partie de son livre consacré à l'Europe de l'Est essaie d'expliquer pourquoi la Pologne et les anciens pays du pacte de Varsovie détestent autant la Russie. J'use moi-même souvent de l'explication historique. La Pologne a de quoi en vouloir à la Russie historiquement et ce sont des pays concurrents en matière d'influence sur le monde slave. Mais il n'y a pas que ça. Car comme le souligne effectivement Emmanuel Todd, la Pologne devrait détester encore plus l'Allemagne, ou les reliquats de l'Empire austro-hongrois, si ce n'était qu'une affaire de contentieux historique. Or il y a une animosité spéciale envers la Russie. Todd y voit un effet de revanchisme colonial. Le développement de la Pologne et des pays de l'Est en général, y compris celui de l'Ukraine, doivent beaucoup à l'influence et aux investissements de la Russie. L'Europe de l'Est était en effet très en retard sur le plan économique et éducatif bien avant la première guerre mondiale par rapport à l'ouest. Or c'est sous la direction russe que ces pays vont se moderniser. Du reste, on constate que ce sont les pays qui se sont frontalement opposés à Moscou à l'époque du rideau de fer qui aujourd’hui sont les moins extrémistes vis-à-vis de la Russie à l'image de la Hongrie de Victor Orban. En pensant à la fin du bloc de l'Est comme un système mettant fin à un système colonial, tout devient plus clair. Les rapports entre les pays de l'ancien bloc de l'Est et la Russie sont en quelque sorte les mêmes que ceux entre les pays colonisateurs de l'Europe de l'Ouest et les pays colonisés. On peut même y voir une similitude avec les rapports entre la France avec l'Algérie par exemple. La Hongrie qui a vraiment affronté la Russie pour son indépendance n'a pas le même ressenti par rapport à la Russie. Un peu comme le Vietnam n'a pas le même ressenti vis-à-vis de la France que l'Algérie. Parce que le Vietnam nous a mis dehors, alors que l'indépendance algérienne est beaucoup moins glorieuse. C'est ici une réflexion personnelle.

 

Emmanuel Todd passe ensuite à l'analyse de l'ouest. Il commence par la question de l'UE et de son apparent suicide collectif. Il souligne l'étrange comportement de l'Allemagne qui a accepté de sabrer volontairement son économie par la destruction de Nord Stream. Cet étrange comportement de l'Allemagne est en soi très étrange. En effet depuis la mise en place de l'euro l'Allemagne semblait avoir le vent en poupe. Grâce à l'euro, elle a éliminé ses deux concurrents continentaux sur le plan industriel et économique la France et l'Italie. La réunification lui avait donné l'avantage numérique et l'immigration semble compenser, pour l'instant l'effondrement démographique produit par une sous natalité structurelle. Tout se passait comme si l'Allemagne allait pouvoir enfin réaliser son rêve d'un nouveau Reich avec l'étrange complicité des élites françaises. Mais le conflit en Ukraine a tout mis par terre. Trop dépendante de la Russie sur le plan énergétique. Le pays semble s'être sabordé en participant aux multiples mesures anti-russes. Pourtant rien n'obligeait réellement l'Allemagne à prendre de telles mesures.

 

Si Todd s'appuie un peu sur des explications d'ordre anthropologique, notamment le fait que les familles souches deviennent souvent folles lorsqu'elles sont la puissance dominante, elles préfèrent obéir. Il utilise aussi un argument moins habituel sous sa plume, celui de la domination directe des élites européennes par les services de la NSA et les USA. On pourrait ici facilement objecter que Todd ne fournit aucune preuve directe, et qu'il s'agit un peu de complotisme. Mais n'oublions pas que quelques affaires dont l'espionnage américain permis par le Danemark par exemple est aujourd'hui assez connu. Pour Todd le fait que l'essentiel des richesses des élites européennes soit sur le domaine du dollar et peut-être contrôlé par Washington d'une façon ou d'une autre peut expliquer les comportements antinationaux des élites du continent. On ne saurait lui donner tort à dire vrai. Il y a trop d'incohérences et de comportements étranges en Europe pour qu'il n'y ait pas l'effet d'une corruption extérieure. Ajoutons à cela que nos médias s'acharnent à ne parler que de corruption Chinoise ou russe alors que celle que produit les USA depuis des décennies est pourtant incroyablement plus présente, et visible sur notre sol. Et puis n'est-ce pas étrange que depuis l'affaire de l'opposition de la guerre en Irak de la part de la France nous n'ayons plus que des présidents atlantistes ? Je sais bien qu'il est difficile d'admettre que nous ne sommes qu'une colonie américaine sur le plan politique, mais c'est pourtant ce qui explique le mieux le comportement de nos politiques.

 

Je continuerai dans la seconde partie en parlant des points faibles du livre, les questions économiques.

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29 janvier 2024 1 29 /01 /janvier /2024 15:16

 

Il paraît que les Chinois et les Japonais ont le même mot pour crise et opportunité. Et effectivement, les crises sont souvent l'occasion de repenser une situation et des choix. La révolte actuelle du milieu agricole a plusieurs origines. La première est évidemment européenne. On en a déjà longuement parlé dans le précédent texte. La construction européenne d'essence libérale a mis nos agriculteurs dans une situation de concurrence totalement invraisemblable. À cela se sont ajoutées les innombrables normes pour protéger en théorie l'environnement et les consommateurs. Des normes qui bien souvent ne s'appliquent pas aux produits importés créant une aggravation de la concurrence déloyale. Tout ceci est connu et il s'agit d'un des gros points d'achoppement actuels. C'est d'autant plus problématique que ce ne sont plus les hommes politiques français qui détiennent le pouvoir, surtout en matière agricole, puisque c'est de la compétence de l'UE. Et comme vous le savez, le libre-échange est non seulement structurel au sein de cette institution, mais la remise en cause du libéralisme économique n'est propre qu'à la population française. Le reste de l'UE adhère totalement au concept de laissez-faire. Nous serons donc toujours minoritaires sur cette question.

 

Tout changement en la matière ne peut donc qu'être précédé d'une rupture avec l'UE. Et cette rupture, nos élites n'en veulent pas. Cette question est donc totalement imbriquée dans la question de la souveraineté nationale. Et il est intéressant de voir que par la problématique de l'agriculture la question européenne commence à se poser dans les médias même si nos élites sortent comme d'habitude des contre-feux pour arrêter la critique de la construction européenne. Cependant, il ne faut pas s'arrêter uniquement à la question de la construction européenne et des problèmes qu'elle pose. L'agriculture mérite mieux que ça. Elle est le cœur de la civilisation, c'est d'ailleurs cette activité qui lui a donné naissance, faut-il vraiment le rappeler ? Et les Français sont particulièrement attachés à cette activité comme une sorte de réminiscence des activités de leurs ancêtres qui l'ont pratiqué massivement pendant des siècles. S'il ne s'agit pas ici de tomber dans le passéisme de certains écologistes pour la production d’antan, il est indubitable que nous devrons repenser notre agriculture pour la rendre plus conforme au désir de la population tout en maintenant tout de même en grande partie ce que l'amélioration des gains de productivité a permis depuis 1945.

 

 

Un petit rappel ne fait pas de mal en la matière. L'agriculture est en effet le secteur qui a connu les plus forts gains de productivité après guerre. On croit généralement qu'il s'agit de l'industrie, mais non . L'agriculture française a permis de nourrir la population du pays malgré un effondrement du nombre de travailleurs dans le secteur. Et c'est en grande partie cet énorme gain de productivité qui a permis, à un pays qui avait déjà un gros problème démographique, d'alimenter en main-d’œuvre la reconstruction industrielle d'après-guerre. Alors ces énormes gains de productivité ont effectivement profondément changé l’agriculture. Certains aspects ont eu des effets dommageables sur notre environnement. Et cette question reste toujours d'actualité. Mais cela a permis aussi d'améliorer le niveau de vie de la population ainsi qu'une amélioration globale de la santé de la population. Car quoiqu'on en dise l'espérance de vie dans nos pays a bien augmenté depuis la guerre et on le doit en partie à une meilleure nutrition et à l'agriculture productive. L'agriculture productiviste a mauvaise presse alors qu'on devrait bien plus souvent lui tresser des louanges. Qu'il faille engager des efforts pour rendre la forte productivité la moins dommageable qu'il soit possible pour l'environnement, soit. Qu'on enterre la volonté de gain de productivité au nom d'un écologisme plus fantasmatique que scientifiques nous serions bien avisé d'y renoncer à moins de vouloir le retour des famines.

 

C'est d'autant plus vrai que l'amélioration de l'automatisation pourrait résoudre en partie dans les années qui viennent les problèmes de manque de main-d’œuvre dans ce secteur d'activité durement touché par le vieillissement et la dépopulation des campagnes. Si les Français sont moins nombreux à travailler aux récoltes saisonnières, ce n'est pas seulement une histoire de coût du travail et de conditions, même si cela joue bien évidemment, c'est surtout parce qu'on assiste aux effets à long terme de la sous-natalité. Et pour de nombreuses raisons, l'immigration n'est qu'une mauvaise idée pour résoudre le problème. Cette contrainte de la baisse de la population active obligera d'ailleurs certainement à un besoin d'augmenter la taille moyenne des exploitations agricoles pour rendre possible des investissements massifs en termes d'automatisation. Cela va à l'encontre de l'image d'une agriculture plus proche de la nature, mais ce qui compte au fond c'est d'arriver à ménager un prix raisonnable pour le producteur et le consommateur, le tout sans nuire à l'environnement. Nous n'y arriverons pas en faisant sans cesse appel à notre imaginaire de paysan traditionnel, plutôt qu'à la raison.

 

 

Nourrir la nation ou se spécialiser à l'international ?

 

Commençons par un constat, la France n'est pas un pays surpeuplé. On pourrait même dire l'inverse. La stagnation démographique du pays depuis plus de deux siècles a fait de la France un pays à densité de population relativement basse si on compare avec d'autres nations. L'Allemagne par exemple a une densité de population de 236 hab/km² contre 107 pour la France. On ne parlera pas de pays encore plus extrêmes comme le Japon ou les Pays-Bas, ces derniers étant pourtant un gros exportateur agricole. Bref, le discours sur une France surpeuplée qu'on peut entendre parfois n'a aucun sens. C'est encore plus vrai si l'on regarde la couverture de forêt du pays. Nous n'en avions jamais eu autant avec un tiers du territoire recouvert. La France bénéficie en plus de territoires d'outremer qui peuvent produire aussi des fruits, et légumes exotiques, ne poussant pas facilement sous nos latitudes.

 

Il n'y a donc aucune raison pratique pour que la France devienne comme elle le devient petit à petit un pays importateur de nourriture. Nous ne reviendrons pas sur la principale cause explicitée précédemment. Mais en supposant que le pays redevienne indépendant et ne soit plus sous la mainmise de l'UE, quel choix devrions-nous faire à long terme ? Nous avons deux possibilités avec des conséquences très grandes sur l'organisation agricole à terme. D'un côté nous pouvons continuer le choix « libéral » de la spécialisation dans l'économie mondiale en faisant de la production agricole française une agriculture spécialisée dans l'exportation de certaines productions où nous avons des avantages. Ou alors, revenir plutôt à une agriculture d'autosuffisance visant d'abord à nourrir les Français. Le second choix implique probablement des prix un peu plus élevés, mais a l'immense avantage de mieux nous mettre à l’abri des catastrophes à l'étranger et des variations des marchés mondiaux.

 

C'est bien évidemment de la seconde suggestion que nous parlerons maintenant. La France pourrait assez facilement pourvoir à tous ses besoins. Un coup d’œil au tableau suivant montre que la France fournit déjà plus que ce qu'elle consomme en théorie. Mais beaucoup de notre production est exportée et par ailleurs nous importons aussi beaucoup. Il s'agit là des effets étranges de la dérégulation commerciale des années 70-80. Le marché raisonne désormais à l'échelle européenne et mondiale. Or dans ces cas-là, les vendeurs vendent là où c'est le plus rentable pour eux. Je rappelle toujours cette anecdote historique très importante de la grande famine en Irlande. La Grande-Bretagne pouvait nourrir la population, mais elle a laissé le marché s'autoréguler en produisant la plus grande famine que l’Europe ait connue au 19e. Elle conduisit ainsi au dépeuplement de l'île. Il en va de même ici. Si demain les prix sont beaucoup plus élevés en Chine qu'en France pour le blé, le lait et d'autres produits, les producteurs n'hésiteront pas longtemps à vider les stocks français pour alimenter l'empire du Milieu. Une partie de l'inflation alimentaire en France a probablement été produite par ce phénomène d'ailleurs. Qui dit prix mondiaux, dit déconnexion entre le marché local, ses besoins et la production. On peut dès lors connaître les effets de la pauvreté dans l'abondance pour reprendre l'expression de Keynes. Un pays peut produire largement plus qu'il ne consomme et voir pourtant sa population mourir de faim.

 

 

Il est important de comprendre que la dépendance au marché mondial ne découle pas seulement des importations, mais aussi des exportations. Il s'agit d'une dépendance au niveau de la formation des prix résultant de la suppression des frontières voulue par l'idéologie néolibérale depuis les années 70 qui a pris des dimensions absurdes dans le domaine agricole. Si nous voulons avoir de nouveau une agriculture nationale, il ne faudra pas seulement limiter les importations, mais aussi les exportations de telle façon que le marché redevienne national et que les prix soient adaptés aux besoins du pays. Certaines activités comme la production de vin s'en trouveraient réduites fortement puisque les Français en boivent beaucoup moins pendant que d'autres devraient s’accroître en fonction de la consommation nationale. Je pense qu'une bonne part du mal-être des agriculteurs vient de cette déconnexion entre la production et la consommation produite par la globalisation.

 

Ajoutons à cette nécessité de limiter aussi les exportations, un besoin d'autonomie en matière de production d’intrants chimique. En effet si la France peut produire beaucoup en matière agricole, elle s'est rendu dépendante d'engrais chimiques et de pesticides qui eux sont souvent importés ou produit à partir de produits importés. En particulier les hydrocarbures qui rentrent dans la composition de bon nombre de produits chimiques. On l'a vu depuis la rupture avec la Russie, nous avons un grave problème de dépendance aux importations d'engrais. Vouloir une plus grande souveraineté en matière de production agricole réclame donc aussi une réflexion sur nos capacités à substituer par des produits français les importations de matières premières nécessaires à la production agricole. C'est ici que les écologistes raisonnables pourraient faire valoir leurs arguments. Comment se passer d'engrais chimiques et de pesticides importés ? Ou comment les substituer ?

 

On le voit, la question agricole est complexe, mais elle est aussi le produit de choix de fond. Pour l'instant, la France et ses « élites » se laissent flotter sur les eaux du calcul égoïste à court terme. Mais les dégâts de la logique du laissez-faire commencent à se faire sentir. Le temps est revenu pour l'action collective et la stratégie nationale même si beaucoup ne s'en sont pas encore aperçus. Je plaide à titre personnel pour une stratégie d'autosuffisance alimentaire. D'une part parce qu'à long terme c'est beaucoup plus sûr que de dépendre des aléas des marchés mondiaux. Ensuite parce que je pense que cela correspondra beaucoup mieux aux aspirations réelles des Français en matière agricole. Nous ne reviendrons pas à l'agriculture de nos glorieux ancêtres, mais nous n’aspirons pas non plus à manger des steaks imprimés en 3D. Si nous ne voulons pas que d'autres nous imposent par l'intermédiaire des marchés internationaux dérégulés leurs propres choix, il nous faut réhabiliter les frontières et l'action collective. En un sens la problématique de l'agriculture c'est la problématique générale de la civilisation dans laquelle nous voulons vivre. Et c'est bien naturel en fin de compte puisque c'est cette activité qui lui donna naissance.

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22 janvier 2024 1 22 /01 /janvier /2024 15:59

 

 

Comme je l'ai dit dans mon précédent texte, je feuillette en ce moment même le dernier livre d'Emmanuel Todd qui est sorti à la mi-janvier. Je pense en faire une critique bientôt même si j'ai déjà souvent parlé sur ce blog des œuvres d'Emmanuel Todd. Après tout, c'est grâce à lui si ce blog existe, tout comme il m'avait permis de connaître le blog Horizon vers 2008-09 dont l'auteur qui a disparu de la scène depuis était un grand fan. Emmanuel Todd, qu'on soit d'accord ou non avec ses interprétations, a l'immense qualité d'appuyer ses questionnements et ses théories sur des faits. Chose beaucoup trop rare dans le débat français qui consiste surtout à faire de la métaphysique et de la philosophie sans faire véritablement de science. Dans son dernier livre, Emmanuel Todd construit une explication de l'évolution occidentale qui se base sur une interprétation nihiliste des comportements. Je ne vais pas m'attarder sur le point de vue de Todd sur cette question, mais pour résumer nous serions au stade terminal de l'effondrement de la croyance religieuse.

 

Si vous êtes des lecteurs habitués de cet auteur, vous savez qu'il s'était déjà appuyé sur la question de l'évolution de la croyance religieuse précédemment. On se souvient de son livre « Qui est Charlie ? » où il utilisait le concept de catholicisme zombi pour décrire, à mon avis un peu trop rapidement, les réactions à l'immonde attentat de Charlie Hebdo en 2015. Ce livre lui a valu des inimitiés et des énervements. Je n'étais moi-même pas totalement convaincu par son analyse à l'époque. Cependant, la question de l'effondrement de la croyance religieuse a toujours été l'une de ses marottes si je puis dire. Donc d'après lui nous arrivons aujourd'hui au stade terminal d'un phénomène qui a décollé avec l'arrivée du protestantisme et la hausse de l'alphabétisation dans la population, à savoir l'effondrement de la croyance religieuse. Après le stade zombi, qui fut caractérisé par un maintient des traditions culturelles, et des automatismes de la religion, sans pour autant que la croyance ne persiste réellement, vient donc ensuite le stade zéro, celui du vide total. Une période que nous vivrions aujourd'hui en occident et qui expliquerait une absence totale de morale sur tous les sujets, un nihilisme absolu.

 

L'explication est séduisante et tend à expliquer certains étranges comportements, ou propos. Emmanuel Todd qui est de gauche a tendance à prendre en exemple des comportements qu'il juge nihilistes lorsqu'il parle de la droite et de l'extrême droite. Il cite plusieurs fois dans son livre l'extrémisme anglais consistant à signer un accord d’expulsion des immigrés vers le Rwanda par exemple. On peut lui accorder le fait que cette idée en soi est absurde. Mais si cela caractérise en partie le nihilisme qu'il dénote, par la disparition des valeurs traditionnelles chrétiennes qui interdiraient normalement de tels raisonnements. Que dire de son propre camp dont il parle bien peu finalement ? Son ami et coauteur Hervé Le Bras, avec qui il a écrit plusieurs livres, vient à nouveau par exemple de faire l’apologie de l'immigration de masse dans une émission de télévision. Mais la volonté de remplacement des Français par une population immigrée, et celle de réduire la natalité des populations de souche accompagnée de l'immigration de travail. Comme l'a affirmé à nouveau la représentante d'EELV madame Sandrine Rousseau par exemple, n'est-ce pas aussi du nihilisme ? Je critique ici Emmanuel Todd sur sa tendance à ne voir le nihilisme que de l’œil d'un homme de gauche un peu hémiplégique ayant tendance à ne pas voir celui de son propre camp. Que dire de la GPA et des multiples usages purement utilitaristes de l'humain que prône fortement une certaine gauche derrière un paravent humanitaire qui camoufle de plus en plus mal les vraies motivations égocentriques de la bourgeoisie ? Cela aussi c'est du nihilisme si l'on se place du point de vue des valeurs chrétiennes, mais Todd en parle beaucoup moins, il est vrai.

 

L'occident orphelin du christianisme, mais pas de la religion.

 

Quoiqu'il en soit, on peut effectivement voir dans le nihilisme une explication facile à ces comportements amoraux qui se multiplient dans un peu tous les aspects de la vie. N'oublions pas non plus la période du COVID où les innombrables absurdités prescrites par les gouvernements et les conseils dits « scientifiques » multipliaient les âneries quand on n’était pas carrément dans la corruption de haut niveau avec l'industrie pharmaceutique. Rappelons quand même les mesures extrêmes prises pour une maladie dont on savait déjà qu'elle n'était guère dangereuse. Nous séparâmes pourtant les familles à cette occasion et nous avons même laissé certains vieux mourir seuls pour soi-disant les protéger du COVID. L'on pourrait effectivement voir cette période comme un nihilisme démonstratif, en tout cas comme une preuve de la disparition totale des valeurs chrétiennes.Todd d'ailleurs s'appuie aussi sur l'exemple du comportement de l'industrie pharmaceutique américaine et de la catastrophe des opioïdes pour montrer l'évolution amorale de la société américaine privée de sa conscience protestante. Ce nihilisme semble effectivement tout emporter, même la science. Rappelons-le, dire la vérité est quand même quelque chose d'extrêmement important pour la méthode scientifique. Des scientifiques qui se mettent à mentir sur leurs données pour y faire avancer quelques intérêts sont hautement dommageables pour la science. Or les valeurs chrétiennes sont porteuses justement d'une aversion au mensonge. On pourrait donc ici se demander si quelque part la disparition du christianisme en tant que matrice idéologique de l'occident n'a pas cassé quelque chose d'essentiel au fonctionnement de sa science et de son organisation économique et sociale.

 

Cependant, le nihilisme n'explique pas tout un tas de mouvements et des passions modernes. Ne voir dans le mouvement wokiste qu'un mouvement nihiliste est à mon sens un peu court. Car si le nihilisme peut expliquer la disparition de la morale publique traditionnelle, la disparition du sens de l'intérêt général et même la disparition de l'empathie qui est pourtant si importante pour la vie sociale. Le nihilisme ne peut expliquer les passions nouvelles qu'on voit poindre de temps en temps dans les discours publics. Il peut donner des pulsions de mort, mais pas des pulsions créatrices et mobilisatrices aussi absurdes soient-elles. C'est en ce sens que je pense que Todd se trompe un peu. Le christianisme est bien mort, même si certaines de ses valeurs persistent en étant déformées par moment. L'on peut aussi voir poindre simplement de nouvelles religions. C'est donc plutôt vers l'explication d'un Jacques Ellul que j'irai chercher les réponses aux étranges comportements de nos élites et notre population perdue.

 

Jacques Ellul est connu pour son œuvre majeure avec son célèbre livre « Le bluff technologique ». Il est souvent adulé par les écologistes qui bien souvent n'ont lu qu'une version résumée de son plus célèbre ouvrage. Il critiquait la fétichisation de la technique et la montée du fameux système technicien. Une espèce de machine échappant à la volonté humaine prise dans un engrenage de contraintes visant à produire toujours plus pour consommer toujours plus et permettre l'augmentation permanente du taux de profit. Il est l'un des rares penseurs à avoir vu que le développement technologique à partir de la fin des années 60 devenait de plus en plus superflu. Mais si ce livre reste d'une étonnante actualité, de plus en plus d'ailleurs. L'autre aspect des analyses de Jacques Ellul fut d'avoir vu, avant tout le monde, la défaite finale de l'athéisme. Dans son livre « Les nouveaux possédés » dont j'ai déjà parlé, il ne décrit pas un monde d'athées nihilistes comme le fait Emmanuel Todd, mais plutôt un monde de gens perdus dans d'innombrables croyances païennes. Si l'on pouvait faire une comparaison, on pourrait comparer ça à la période préchrétienne de l'empire romaine, où d’innombrables cultes se côtoyaient, ou à la période chrétienne précèdent le concile de Nicée.

 

Une période où le christianisme était fragmenté en une myriade de sectes plus ou moins compatibles entre elles des nestoriens à l'arianisme en passant par le donatisme. L'on pourrait dès lors décrire notre monde post-chrétien non comme un monde nihiliste, si ce n'est de façon très passagère, mais comme un monde à la recherche de nouvelles religions en proie à une multitude de cultes s’affrontant. Dès lors, nous pouvons expliquer mieux qu'avec le nihilisme les différentes passions qui entourent les comportements des élites et de la population. En l'absence de croyance collective, les populations cherchent naturellement un liant entre elles. Ce besoin de partager une croyance commune pour créer du lien est à la base en grande partie de la force des religions. Cela crée un langage commun, une communion. Le phénomène est bien connu pour ceux qui s'intéressent aux mouvements sectaires qui ont jalonné l'effondrement des croyances plus classiques. Mais ce phénomène, comme pouvait le décrire Jacques Ellul dans son livre des années 70, peut toucher en réalité toute idée, personne ou organisation. Il dénotait lui-même que les stars musicales de l'époque étaient déjà décrites comme des idoles modernes. Le terme utilisé décrivait parfaitement bien le phénomène. Ce qui intéressait les gens au fond n'était pas la personne, ou les idées, mais bien le fait de retrouver à travers telle idole ou telle idéologie un liant social.

 

Ce phénomène explique à la fois ce que décrit bien Todd, c'est-à-dire la disparition des valeurs chrétiennes résiduelles qui continuaient il y a peu à structurer nos sociétés, tout en expliquant les débats absurdement passionnés qui peuvent, ici où là, être alimentés par les foules. Ce que le nihilisme et sa pulsion de mort ne sauraient expliquer. Par exemple, les écologistes extrémistes qui s'attaquent à nos agriculteurs, qui collent leurs mains sur du bitume et font d'autres choses encore plus extravagantes n'ont pas une pulsion de mort, ils sont animés par des croyances. Des croyances qui peuvent avoir des conséquences mortifères, mais des croyances quand même. Elles ne sont juste plus du tout chrétiennes. On pourrait en dire autant des transhumanistes, de l'idéologie woke, des débats délirants autour des orientations sexuelles, etc.. Nous voici donc perdus dans ce monde de païens dont les derniers oripeaux chrétiens ont disparu et sans concile de Nicée visible à l'horizon. Le principal problème de cette foison de croyances, c'est qu'elle favorise les conflits et les incompréhensions. Et elle rend également très difficile le discours rationnel. Comment en effet construire un débat scientifique si les idées elles-mêmes deviennent des croyances intouchables sur tel ou tel sujet ? On le voit sur l'Europe ou l'écologie qui sont devenues des totems indomptables par la raison. Cette explication de notre temps me semble donc plus à propos que le nihilisme toddien. Nous ne sommes donc pas nihilistes, mais à nouveau polythéistes, à chacun sa croyance en quelque sorte.

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5 janvier 2024 5 05 /01 /janvier /2024 15:24
La carte grotesque des civilisations selon huntington

 

La nouvelle année va bien commencer. Peut-être pas pour la France ou l'Europe en générale malheureusement, mais pour les aficionados d'Emmanuel Todd dont je fais partie comme vous le savez probablement. Je ne suis pas toujours d'accord avec lui sur tous les sujets bien évidemment. Je peux même être en profond désaccord, en particulier les questions migratoires. Mais Emmanuel Todd est un des très rares véritables penseurs français. Ce n'est pas que nous manquions de raisonneurs et de gens qui croient penser, c'est surtout que l'on manque de gens qui pensent à partir de la réalité. Celle des données statistiques que l'on peut pourtant aujourd'hui obtenir très facilement. Trop peu de prétendus penseurs s’attellent réellement à l'exercice de la mesure du réel. Probablement parce que cela demande des efforts que cela nous oblige à confronter nos croyances à une réalité qui y correspond très rarement dans son entièreté. Alors bien évidemment les données peuvent être interprétées parfois de différentes manières, mais s'appuyer sur les faits est le meilleur départ pour penser à peu près justement. Et c'est bien cela qui fait défaut dans notre société obsédée par la morale, les idées reçues et la cacophonie communicante. Emmanuel Todd sort donc bientôt un nouveau livre, espérons quand même que ce ne soit pas le dernier, et c'est pour cela que je disais que l'année commençait bien.

 

Le titre de ce nouvel ouvrage est assez évocateur puisqu'il s'agit tout simplement de l'annonce de la défaite de l'occident. Nous en reparlerons probablement lorsqu'il sortira et que je l'aurais lu bien évidemment. Quoiqu'il en soit Emmanuel Todd comme à son habitude s'amuse à agacer les journalistes, et une fois n'est pas coutume, c'est ce qu'il fait dans ce nouvel interview sur l’hebdomadaire libéral Le Point. On n’en apprend malheureusement pas tellement sur le contenu de l'ouvrage parce que visiblement le journaliste du Point qui fait l'interview est obsédé par la Russie et Poutine alors que Todd précise bien que le problème c'est l'effondrement de l'occident et en particulier des USA. Un effondrement qui n'est pas le fait des puissances extérieures que ce soit la Russie ou la Chine, mais bien avant tout des politiques et de l'orientation prise par l'occident américain depuis plusieurs décennies. Je n'irais pas plus loin ici puisque bien évidemment il faut avoir lu le livre avant d'avoir un avis sur ce que Todd nous dit rapidement ici dans cet interview, même si l'on peut s'en douter quand on a régulièrement lu ses œuvres. C'est plutôt sur le concept d'occident que je voulais rapidement intervenir.

 

 

L'occident est un concept qui cache la domination américaine

 

Emmanuel Todd est assez clair sur la question occidentale. Pour lui l'occident c'est l'Empire américain tel qu'il s'est construit après la Seconde Guerre mondiale. Il n'y a pas trop d’ambiguïté sur la question quand on suit ses œuvres. Il inclut d'ailleurs le Japon et la Corée du Sud dans l'occident, en tout cas c'est ce qu'il faisait dans ses précédents livres. Preuve qu'il s'agit de l'Empire américain et non d'un groupe culturel à ses yeux. Alors que le déclin de l'empire américain est de plus en plus visible, cet affaiblissement provoque des peurs en particulier chez les élites européennes qui ressortent maintenant de la naphtaline la fameuse thèse d'Huntington sur le choc des civilisations. Mais de quelle civilisation parlons-nous exactement ? L'occident a passé son temps à se faire la guerre à lui même depuis 200 ans. Et les impérialismes s'y sont affronté avec vigueur Espagnol, Portugais, Français hollandais, anglais puis Allemand et enfin Américains n'ont eu de cesse de se faire la guerre pour asseoir une domination et défendre leurs intérêts. Le concept d'Huntington a donc un énorme problème dès le départ, il lie des sociétés entre elles sous un concept d'une unité qui n'a en réalité jamais existé. Par contre, il y a depuis 45 une domination d'une nation sur toutes les anciennes puissances à l'exception de la Russie, celle des USA.

 

Le problème c'est que la vision actuelle de la situation dans les pays sous domination américaine interdit en réalité de comprendre la soumission à laquelle sont soumis les vassaux. Je pense que cette idée d'occident qui serait un groupe culturel et historique avec des particularités qui le rendraient particulier et des « valeurs » communes sont une construction intellectuelle venue a posteriori de la domination impériale américaine. C'est une conception tout d'abord américaine visant à souder leurs nouveaux vassaux après guerre. Les USA se retourneront contre l'URSS dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Si l'on peut voir ce retournement comme motivé par la peur du communisme, l'évolution récente tend plutôt à montrer qu'il s'agissait en fait d'un rapport de force entre deux puissances. Je suis aujourd'hui intimement persuadé que les USA et la Russie se seraient retourné l'un contre l'autre même si la Russie n'était jamais devenue communiste. C'est la géographie, la démographie, l'histoire et la géopolitique qui ont en quelque sorte conduit à cet affrontement. La preuve aujourd'hui les tensions sont de nouveau leur comble alors même que la Russie n'est plus du tout communiste. Mais l'Empire américain doit impérativement maintenir son dollar contre les puissances montantes et voit la Russie comme un adversaire dans cette histoire.

 

Le jeu de l'histoire c'est le rapport de force et les intérêts. Généralement, la religion, la morale ou les valeurs ne sont que des prétextes pour justifier des comportements agressifs, des guerres et des intérêts bien matériels. La France de François 1er s'était alliée à l'Ottoman contre l'immense empire de Charles Quint, et c'était une question de survie pour les deux entités. On ne peut pas dire pourtant que ces deux pays avaient une civilisation commune. La France a soutenu les états protestants pendant la guerre de Trente Ans alors que dans le même temps elle persécutait les huguenots sur son sol. Sa motivation était purement une stratégie pour nuire aux Habsburg. Parlons même de cette guerre entre protestants et catholiques qui fut le conflit le plus meurtrier de l'histoire européenne. En effet, la guerre de Trente Ans tua plus de monde que la Seconde Guerre mondiale proportionnellement. Un état de fait qui rend encore plus ridicule l'idée d'une civilisation commune aux Européens et aux Occidentaux. Pendant longtemps les protestants et les catholiques se sont littéralement haïs. Et même à la fin du 19e siècle les USA, grande nation d'immigration, se plaignaient de l'arrivée d'une immigration de moins en moins protestante avec les Italiens et les Irlandais. Des populations qui n'étaient pas beaucoup mieux acceptées que les Chinois par la population locale. Donc vous comprenez bien que quand on connaît un peu l'histoire, les thèses d'Huntington sont tout simplement ridicules.

 

L'image magnifique que les américains avaient de l'immigration Irlandaise, mais c'est la même civilisation

 

À dire vrai l'occident en tant que civilisation utilisée par les USA, ressemble un peu à la stratégie de l’Oumma du côté islamique. Un concept tout aussi creux qui colle des pays aux intérêts parfois totalement divergents et qui souvent se font la guerre d'ailleurs. Le conflit en Palestine montre d'ailleurs encore tout le côté grotesque de ce concept puisqu'on trouve bons nombre de pays musulmans qui continuent grassement à commercer et à travailler avec Israël. Comme l'explique très bien Caroline Galactéros dans un interview récent donné sur la chaîne de République souveraine, l'idéalisme et la morale sont très dangereux en géopolitique et n'expliquent en réalité pas grand-chose. Mieux vaut se mettre du côté du réalisme et de la mesure des intérêts pratiques des peuples et des nations pour expliquer les comportements et les stratégies de chacun. C'est encore plus vrai pour les dirigeants d'un pays.

 

Cependant, ce concept d'occident mis en avant par les USA pour camoufler leurs intérêts à leurs vassaux n'a pas comme seule explication l'influence de ces derniers. L'occident permet aussi aux élites des vassaux dominés de faire fi en quelque sorte de cette domination. On touche peut-être là à une dimension psychologique qui explique d'une part la haine étrange envers la Russie qui est plus forte en Europe chez les élites politiques et journalistiques qu'aux USA ce qui peut paraître étrange à première vue. La Russie est en quelque sorte jalousée par les anciennes puissances indépendantes européennes et détestées pour être restées indépendantes des USA. Mais cela explique aussi la capacité des élites des vassaux à agir contre leurs propres intérêts. Car on voit bien comment ce récit d'un occident uni autour de valeurs sert de protection à toutes les actions les plus délirantes de l'Oncle Sam. On se souvient bien sûr des bombardements démocratiques sur la Serbie ou l'Irak. Mais la dichotomie devient invraisemblable quand nos valeurs servent ouvertement à excuser une épuration ethnique en Palestine. Apparemment le vassal israélien des USA défend nos valeurs en éjectant un peuple de ses terres d’origine. Et que dire de l'absence totale de réaction européenne à l'explosion de Nord Stream ? Ce genre de contradiction permanente n'est pas possible pour une personne qui réfléchit rationnellement.

 

C'est la fausse conscience d'appartenir à une civilisation supérieure, l'occident, qui permet ce genre d’absurdité logique. Les élites d'Europe se sont persuadées de faire partie des élites de l'Empire devenant plus américain que les Américains eux-mêmes. Elles se sont lancées dans un concours pour savoir qui est la plus américaine avec les championnes du genre que sont les élites françaises qui abandonnent même de plus en plus leur propre langue pour un sabir d'anglais. À côté de ça faire partie de l'occident tend à permettre de faire les pires exactions sans en être punis. On attend toujours un procès contre Bush et Blair pour les crimes perpétrés en Irak par exemple. Où sont nos valeurs dans ce cas précis? Un peu comme les croisés qui tuaient des païens au nom du Christ, alors même que le meurtre est un crime selon les préceptes du christianisme qui ne fait pas de différence entre les hommes sur ce plan. Nous sommes les gentils, ils sont les méchants. Évidemment, la sortie de cette fausse conscience risque de faire très mal lorsqu'elle arrivera, mais n'en doutez pas qu’elle arrivera un jour, parce que l'occident ne domine plus rien et qu'il va bien falloir un jour que ses élites se regardent telles qu'elles sont dans une glace.

 

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22 décembre 2023 5 22 /12 /décembre /2023 15:12

 

Au secours le fascisme est à nos portes. Il a pris le pouvoir. Depuis le vote sur cette ridicule loi concernant l'immigration, tout le petit peuple de « gauche » se sent revigorer comme à la grande époque du Mittérandisme triomphant. La gauche « touche pas mon pote » est de retour grâce à la méthode Macron du en même temps. On a bien évidemment affaire à un phénomène de communication. Après l'épisode de la guerre israélo-palestinienne où la gauche semblait n'avoir d'yeux que pour le Hamas, il s'agit ici d'une opération de communication pour relancer la machinerie de gauche en prévision des élections européennes. Une opération de respectabilité en quelque sorte. Il n'est d'ailleurs pas inimaginable que tout ceci fût en réalité orchestré de manière plus ou moins directe par le pouvoir en place pour différents objectifs. Le premier étant de créer un clivage artificiel entre les différents partis pour continuer le petit théâtre politique français. Si l'on y réfléchit bien, tous les partis y gagnent dans cette affaire en réalité. Macron fait croire d'un côté qu'il a les pieds sur terre en matière migratoire en sortant une loi sur le sujet qui fait hurler en apparence la gauche. Draguant ainsi l'électorat de droite . La gauche y gagne en réaffirmant ses « valeurs morales » et faisant croire qu'elle s’oppose réellement au pouvoir en place. Mais le RN y gagne aussi puisque son agenda progresse en apparence et qu'il paraît donc de plus en plus respectable aux yeux du public.


Évidemment tout ceci est ridicule. Cette loi, on sait très bien qu'elle est en réalité totalement insuffisante pour faire face à l'immigration galopante, mais qu'elle sera en plus détricotée pour le conseil constitutionnel et écrasé par le droit européen qui est supérieur au droit français. Plus que jamais la politique en France se résume à des formules creuses dans un pays qui n'est plus qu'une colonie sur son propre sol. Car colonie est ici véritablement le bon mot puisque les Français sont désormais obligés d'accepter ce qu'il faut bien appeler leur remplaçant même si ce terme horrifie les pseudo-humanistes de plateau télé. En effet, comment ne pas voir que ce processus de déplacement des populations dans un but purement économique pour de la main-d’œuvre est exactement le même processus qui a organisé par exemple la colonisation du continent américain ? Là aussi il s'agissait de répondre aux besoins de l'agriculture du commerce et des industries. Il fallait toujours plus de colons pour pallier au manque de main-d’œuvre local. On l'oublie, mais le processus de colonisation était avant tout un processus économique. C'est d'ailleurs sur ce point que la colonisation française des Amériques fut un échec contrairement à la colonisation anglaise. Nous n'avons pas su créer de pompe aspirante économique contrairement aux Anglais. Ce qui entraîna une faiblesse démographique qui nous coûta à la fin nos colonies.

 

L'Europe, la France et même l'Amérique du Nord sont dans un nouveau système colonial, mais cette fois elles colonisent leurs propres terres. Si dans le cas des USA ce n'est guère nouveau, pour l'Europe c'est véritablement sans précédent. Pour la première fois, le système capitaliste organise la colonisation des terres qui lui ont donné naissance. Un retour de bâton historique, j'imagine. Mais cela prouve que la logique de ce système économique n'est pas une logique impériale, nationale ou ethnique. Le capitalisme libéral est une structure dont le seul but est l'accumulation du profit et les taux d'intérêt. Et c'est par cette seule logique qu'il organise la destruction de peuples et de civilisations entières. C'est aujourd'hui au tour des Occidentaux d'en subir les funestes conséquences. Mais en disant cela, on voit bien tout le paradoxe qu'il y a à être soit disant de gauche tout en favorisant un système que pourtant la gauche est censée abhorrer. L'unanimisme de la gauche actuelle autour de l'immigration est en soi extrêmement suspect. On peut même dire que cet unanimisme ne relève pas d'une morale supérieure ou d'une croyance réelle dans des valeurs universelles. Ça, c'est la version officielle et gentillette à destination des jeunes et des naïfs. On peut par contre réellement parler d'intérêt de classe.

 

 

Au passage, on vient d'apprendre que 32 départements comptaient ne pas appliquer la loi. Et bien lorsque l'on regarde ces départements sur une carte, une chose saute aux yeux à qui connaît les travaux d'Emmanuel Todd. Ce sont des départements situés en grande partie en région de familles souches. Vous savez les structures familiales qui prévalent en Allemagne et au Japon et qui ne croient pas en l'égalité. Est-ce un hasard ? Je ne le crois pas. La famille souche est caractérisée par une passion pour l'ordre, et une préférence pour l'inégalité. On pourrait interpréter sa passion pour l'immigration comme la nécessite à ses yeux du maintien d'une population « inférieure » immigré pour effectuer les basses besognes. C'est d'ailleurs un argument constamment employé, non seulement par le patronat, mais aussi, et surtout, par la gauche actuelle. Ils ne cessent de rabâcher le fait que le pays s'arrêterait s'il n'y avait pas les gueux du tiers-monde pour faire fonctionner les tâches subalternes. Là où une personne à la vision égalitaire des choses voit l'effet de l'immigration sur l'abaissement des salaires, justement dans ces fonctions subalternes. Le gauchiste de famille souche y voit une normalité, les tâches subalternes doivent être sous-payées, et donc réservées aux immigrés. La famille nucléaire égalitaire, qui est majoritaire dans le pays, pense qu'il faut moins d'immigrés pour mieux rémunérer le travail dans les tâches ingrates. Ce qui adviendrait s'il n'y avait pas l'armée de réserve du tiers-monde pour casser le marché. La famille souche pense au contraire qu'il faut spécialiser les gens et leurs ethnies dans des tâches spécifiques. Elle ne le dit pas comme ça, car l'imaginaire officiel de la gauche l'interdit, mais c'est ce qui ressort logiquement de leur contradiction intellectuelle. Vouloir toujours plus d'immigrés c'est nécessairement abaisser le statut du travail et dégrader les conditions de vie des plus pauvres. Cela a exactement le même effet que le libre-échange, mais sur les métiers qui étaient jusque là épargnés par la concurrence globale comme les services. D'ailleurs, on trouve ici une ressemblance tout à fait logique entre la pensée de la gauche de famille souche française et la pensée allemande en matière d'immigration, là encore ce n'est pas le fruit du hasard.

 

Tous les peuples ont droit à une identité même en Europe

 

On le voit donc ici en faisant une analyse rapide, la partie de la population qui se dit de gauche aujourd'hui n'a pas un comportement ou une pensée qui colle à son propos ou à ses thèses. La gauche française a depuis longtemps abandonné sa mission originelle, probablement sous l'influence du changement de la composition de son électorat. Un phénomène qu'a déjà décrit longuement Emmanuel Todd et qui a vraiment émergé lors du vote sur le traité de Maastricht en 92. On est passé d'une gauche réellement égalitaire avec une base dans les régions de famille nucléaire égalitaire à une gauche faussement égalitaire et autoritaire, associée aux familles souches du pays. Cette absence d'intérêt pour l'égalité ne se voit pas simplement dans la manière dont la gauche actuelle oriente les débats. Sa supposée supériorité morale la pousse à vouloir écraser tout ce qui diverge d'un iota de sa doctrine de base. Son autoritarisme lié aux familles souches s'exerce à travers les médias et dans les débats publics, mais c'est sur ses propres membres qu'il est le plus violent, gare aux hérétiques qui ne pensent pas comme il faut, ils seront excommuniés et brûlé médiatiquement, pour l'instant. L'évolution personnelle de Mélenchon d'un centriste maastrichien en une espèce de despote wokiste est assez représentative de l'évolution de la gauche française depuis trente ans. Ils sont le camp du bien. Et tels les croisés d'autrefois, ils vous apportent la bonne parole de l'évangile selon Mélenchon, à coup de sabre s'il le faut.

 

L'autre effet du gauchisme inégalitaire est la dichotomie permanente des raisonnements et une incapacité à penser de façon cohérente les problèmes. La gauche française actuelle a ainsi développé une capacité surprenante à faire des deux poids deux mesures, sans que cela ne choque personne dans leur rang. La gauche va ainsi clairement faire appel aux heures les plus sombres du fascisme et du nazisme lorsque des groupuscules d'extrême droite scandent des âneries dans les rues après une énième agression contre un français par des immigrés. Mais elle est incapable de décrire l'islamisme radical pour ce qu'il est, à savoir un mouvement d'extrême droite lui aussi, et qui en plus est nettement plus fort et conquérant sur la terre française que l'extrême droite résiduelle sur le plan démographique. Sa vision inégalitaire lui interdit de juger de la même manière des Français de souche et des gens d'origine immigrée. On se retrouve donc dans des jugements toujours biaisés donnant cette impression, qui n'est pas qu'une impression, d'un paternalisme compulsif de la gauche française à l'égard des populations immigré ou d'origine immigrée. Ces populations sont toujours innocentes, quoi qu'elles fassent, même les pires horreurs.

 

De la même manière la gauche qui se veut anticolonialiste et anti-impérialiste virulente lorsque des peuples du sud sont opprimés et chassaient de chez eux à l'image des Palestiniens. Elle devient subitement colonialiste et impérialiste lorsqu'elle parle de ses propres terres. Les Palestiniens qui sont des victimes, il faut bien le dire, d'un colonialisme israélien, auraient des droits que n'auraient pas les Français chez eux. Alors vous me direz que l'immigration n'est quand même pas du niveau de violence de la colonisation israélienne. Je vous répondrai que la plupart des immigrants européens qui allaient en Amérique n'étaient pas non plus des gens violents. Ils étaient d'ailleurs eux-mêmes souvent des victimes du capitalisme. Mais dans les deux cas le résultat est le même, les autochtones perdent leurs terres et deviennent des étrangers sur leur propre sol. Les Français comme tous les peuples du monde ont le droit de vouloir rester chez eux en France. Vouloir les contraindre à s'adapter à des colons est aussi criminel que de soutenir la colonisation de la bande de Gaza ou de la Cisjordanie. On le voit dans ce petit exemple, l'absence d'esprit d'égalité rend la gauche incapable de cohérence doctrinale. Et cette absence de cohérence explique en grande partie ses nombreuses bizarreries intellectuelles. Rajoutons à cela que la lutte de la « gauche » contre la nation et la préférence nationale, rejoint in fine les doctrines libérale et libertaire. Car le seul mécanisme qui lie les individus les uns aux autres aujourd'hui c'est bien la nationalité. C'est parce que je partage ma nationalité avec d'autres que j’accepte la solidarité qui va avec. En niant la nation et la préférence nationale qui va avec, la gauche fait le lit de l’égoïsme et de l'individualisme le plus malsain. Cela ouvre la porte en réalité au détricotage des solidarités nationales, soit l'inverse de ce que la « gauche » prétend faire.

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18 décembre 2023 1 18 /12 /décembre /2023 16:14

 

Nous approchons doucement de la fin de l'année 2023, une année tourmentée pour la France et pour l'empire américain. Mais une année qui s'inscrit dans la marche vers le déclin de ces sociétés qui pourtant étaient convaincues depuis longtemps de leur supériorité absolue sur le reste du monde. Les temps deviennent vraiment difficiles pour les idéologues et la réalité multiplie ses incursions dans le petit monde feutré de l'illusion communicante qui constitue l'essentiel de l'imaginaire des médias dominants. C'est que cela fait longtemps que les Occidentaux vivent dans un rêve feutré bordé par la sous-culture médiatique américaine. Et il est difficile de sortir du rêve et de constater le désastre qui nous entoure et que l'on pensait pourtant être un paradis. L'occident actuel est en proie à un réveil qu'il ne veut pas faire. Il ne veut pas se regarder tel qu'il est. N’y admettre les conséquences des choix qu'il a faits ces cinquante dernières années. Pour ma part, je pense que la crise du Covid puis celle de la guerre en Ukraine constituent quelque part le début d'un réveil des populations d'occident. Et ce qu'elles ont sous leurs yeux ne leur plaît pas du tout.

 

Le pompon fut sans doute les chiffres dramatiques de l'effondrement du niveau scolaire qui bien sûr touche beaucoup la France, mais atteint désormais l'ensemble des pays du bloc occidental. Les pays d'Asie trustant largement la tête du podium. On a parlé d'un effet Covid, mais il semble pourtant que le Japon, la Corée du Sud ou Singapour n'était pas en reste en matière de mesures absurdes pendant la crise sanitaire et pourtant il n'y a pas eu d'effet baisse chez eux. Quoiqu'il en soit cette histoire de classement, Pisa s'ajoute aux très nombreux signes d'un déclin de plus en plus marqué et de plus en plus difficile à camoufler par des astuces sémantiques ou par des euphémismes dialectiques. Un déclin économique tout d'abord, même le champion européen l'Allemagne a désormais les deux pieds dans le ciment. Elle attend sans doute que l'oncle Sam la balance dans la mer près du Nord Stream. L'UE s'enfonce dans une crise économique gravissime, mais se lance à corps perdu dans une folle extension vers l'Ukraine et la Moldavie, et puis vers la Géorgie. À croire que son incapacité à résoudre les problèmes économiques et politiques réels du continent est compensée par un expansionnisme qui n'a aucun sens. Ce n'est pas sans rappeler les folies militaires russes de Napoléon ou d'Hitler en un sens. On vient même d'entendre le ministre allemand de la Défense à vouloir préparer une guerre dans les dix ans qui viennent contre la Russie. Je crois qu'on a là l'exemple parfait d'une véritable folie collective qui a atteint les hautes sphères du pouvoir en Europe.

 

Globalement, l'occident donne l'impression d'être dirigé par des fous et des irresponsables. On ne parlera pas de Joe Biden qui ne contrôle probablement pas grand-chose, si tant est qu'il comprenne encore le monde qui l'entoure. Aux USA le pouvoir est extrêmement diffus. Mais les officines américaines ne semblent pas plus savoir où elles vont que leur satellite européen. Ajoutons à cela un effondrement de l'espérance de vie, une explosion des morts par drogue aux USA, une mortalité infantile en hausse aux USA comme en France. Il règne comme une atmosphère de fin du monde, et effectivement on arrive à la fin d'un monde. L'occident dominant est terminé. Et s'il était possible de laisser des imbéciles et des corrompus diriger des sociétés qui avaient tout pour elles. C'est beaucoup plus problématique dans des pays de seconde zone. Nous n'avons plus le luxe de pouvoir être mal dirigés. Cette situation la population a commencé à le comprendre, je pense. Il n'y a plus guère de confiance dans les systèmes politiques et médiatiques. Mais l'effondrement étant ce qu'il est la population occidentale, elle-même a bien du mal à comprendre ce qui lui arrive. La société de consommation a produit une horde de citoyens amorphes. L'homoéconomicus a produit des gens qui ne pensent qu'à leurs propres intérêts et ne voient pas plus loin que ça. La médiocrité politique est en grande partie le fruit pourri de la société de consommation. La somme des intérêts particuliers n'a jamais fait l'intérêt général contrairement aux divagations libérales et il n'y a aucune raison pour que ce soit le cas.

 

La dégradation du débat public

 

La société se dégrade, mais plus personne ou presque ne réfléchit à des solutions pratiques pour réellement sortir du merdier dans lequel nous sommes. Ajoutons à cela un vaste effort des classes sociales dominantes pour empêcher toute émergence de mouvement politique réellement alternatif. Le contrôle des médias par l'état et quelques milliardaires prouvant depuis longtemps l’efficacité du contrôle de l'information dans les pays dits démocratique. On en a l'exemple sous les yeux, des événements importants comme les mouvements des agriculteurs sont maintenant simplement ignorés par les médias. Et le simple fait que les médias n'en parlent pas suffit à ignorer dans le débat public la destruction massive de nos agriculteurs. Ils peuvent multiplier les émeutes et les déversements de purin sur les mairies et les préfectures, ils passent incognito. L'ordre a été donné de garder le silence sur la situation. Il ne faudrait pas se retrouver à nouveau avec des mouvements populaires comme les gilets jaunes. Le dorlotement des forces de police par l'état et ces actions de contrôle de la communication visant à étouffer dans l’œuf les mouvements de protestation réellement gênants montrent la panique dans laquelle se trouvent les dirigeants du pays.

 

En effet, pendant longtemps les dominants, la grande bourgeoisie avaient suffisamment confiance dans sa force pour affronter les mouvements populaires ouvertement. Ce fut le cas pendant les grandes grèves de 1995. Les années 90 furent la période d'épanouissement du modèle néolibéral en France. Et le vote sur le traité de Maastricht y fut pour beaucoup, le vote avait en effet montré qu'avec de la manipulation, des mensonges, beaucoup d'argent et des médias sous contrôle, on pouvait pousser une population à voter contre ses propres intérêts. C'est au terme de cette période qu'André Bellon avait écrit un très sympathique petit livre « Le totalitarisme tranquille ». L'auteur notait qu'en réalité le fameux cercle de la raison cher à Alain Minc n'était qu'une forme de totalitarisme qui ne disait pas son nom. Quand tout le monde pense pareil, c'est que plus personne ne pense en réalité. Et cette période qui a commencé dans les années 70 atteindra son apogée dans les années 1990-2000. On ne discutera plus ni l'UE, ni Maastricht et l'euro, ni la globalisation ni tout ce qui peut remettre en question les intérêts des classes possédantes. Quiconque a vécu l'évolution de la période ne peut être que stupéfait par la dégringolade du débat public. Toutes les questions essentielles ont été évacuées et il ne reste plus que des débats secondaires de distraction pseudopolitique à l'image de l'éternel débat sur l'immigration qui n'a aucun sens si l'on ne parle pas de l'UE au préalable.

 

Nous arrivons en réalité à la fin de cette période. Mais elle ne se termine pas parce que soudain la population se serait réveillée politiquement et aurait tout à coup retrouvé le sens de l'intérêt général ou même celui de ses propres intérêts. Les Français ne sont malheureusement pas redevenus des citoyens éclairés. Non, nous arrivons simplement aux conséquences néfastes des choix qui ont été faits depuis au moins les années 70. Et ces conséquences sont très graves comme la pénurie de médecins ou de médicaments par exemple, résultant des absurdités sur le numerus clausus ou des délocalisations de l'industrie du médicament en Asie. Le drame de notre époque c'est que le néolibéralisme a totalement triomphé au point qu'il reste le seul discours explicatif de tous les problèmes alors même qu'il est justement à l'origine de l'état catastrophique de l'occident actuel. Le fanatisme européiste est exemplaire en la matière. La situation de la zone euro depuis 2008 est très mauvaise et à chaque crise la situation s'aggrave, pourtant personne officiellement ne remet en question l'UE et l'euro. Il ne faut même pas en discuter ou vous êtes d'extrême droite et catalogué comme dangereux hérétique.

 

C'est à ce titre qu'on peut en réponse au livre d'André Bellon, vingt-deux ans après, parler de totalitarisme de moins en moins tranquille. Il n'a certes plus d'opposition à part celle qu'il fabrique lui-même à l'image de LFI, du RN ou des autres pitres qui remplissent les temps d'écoute des médias. Mais il a en face de lui son plus grand adversaire, son échec économique et politique lamentable. En affaiblissant de plus en plus les sociétés qui l'ont instauré, ne favorisant que les classes sociales aisées, ce système idéologique finit par produire des chocs externes. Les sociétés qui ne sont pas soumises à son dictat gagnent en puissance à l'image de la Chine et commencent à profiter du très grand affaiblissement de l'occident. C'est cela le choc de réalité que nous connaissons, le meilleur des mondes néolibéraux n'était finalement pas le meilleur puisque d'autres font mieux avec d'autres modèles. Comme il n'a pas réussi à coloniser le monde entier, le néolibéralisme se retrouve comme le communisme naguère en face d'un énorme problème, celui de l'altérité. Je pense sincèrement que le néolibéralisme finira de la même manière que son illustre opposant dans les poubelles de l'histoire. Le problème c'est que nous sommes malheureusement au milieu du tas d'ordure.

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15 décembre 2023 5 15 /12 /décembre /2023 15:39

 

La situation économique russe

 

Comme vous le savez déjà l'occident a très largement sous-estimé l'économie de la Russie. Il s'agit très probablement des effets d'une mécanisation excessive de l'esprit économique qui réduit de plus en plus la réalité d'une nation à deux ou trois paramètres au maximum. Le taux de chômage, le PIB et l'inflation en grande partie. Or l'économie est quelque chose de complexe et comme on l'a vu en comparant les USA et la Chine dans ce texte, le PIB exprimé en dollar est un très mauvais indicateur de la réalité d'une économie. Après guerre on comparait surtout les pays en parlant de production réelle, c'était infiniment plus précis, et cela n'avait pas l'inconvénient de varier en fonction des taux de change. Quoiqu'il en soit, cette sous-estimation a été fatale à la stratégie américaine qui pensait que les simples mesures de rétorsion économiques permettraient de mettre la Russie à genou. Loin d'y être arrivés, les USA et l'UE ont poussé la Russie à se réadapter et à faire les mêmes des politiques contraires à l'idéologie économique dominante au Kremlin.

 

En effet même si Poutine a l'image d'un immonde dictateur anti-occidental et antilibéral, rien n'est plus faux en réalité. Sur le plan économique en tout cas, Poutine est en réalité plutôt libérale et loin d'être un interventionniste. Il n'est pas keynésien et encore moins communiste. Et la banque centrale de Russie pratique plutôt des politiques de rigueur très germanique sur le plan monétaire. La Russie est d'ailleurs encore aujourd'hui un pays très inégalitaire sur le plan économique, bien plus que la moyenne européenne. Mais comme je l'ai déjà dit, nécessité fait loi. C'est vrai en politique comme en économie. Et les mesures anti-russes de l'occident ont poussé ce pays à revoir sa copie sur le plan économique. Les premiers changements ont eu lieu lors des premières mesures de rétorsion suite à l'annexion de la Crimée en 2014. Les pays européens ont cessé d'exporter leurs fruits et légumes en Russie par exemple. La réponse russe fut rapide avec une mise en production locale pour pallier au manque des importations. Et bien les mesures encore plus draconiennes prises lors de ce second conflit avec l'Ukraine ont eu exactement le même effet. Si la Russie a fait un changement de fournisseur en préférant l'Asie à l'Europe, et surtout la Chine. Elle a aussi fait un immense effort de substitution par des productions nationales.

 

Données provenant de Jacques Sapir

Un peu comme lors des conflits franco-anglais de la période napoléonienne où les embargos avaient surtout poussé la France a favorisé une production locale, c'est à cette occasion que le sucre de betterave a remplacé le sucre de canne. La Russie a bénéficié d'une politique protectionniste à son insu en quelque sorte. Et comme c'était prévisible, la croissance est beaucoup plus forte lorsque la production est relocalisée que lorsque l'on favorise surtout les importations. La croissance russe cette année atteint près de 5.5% en rythme annuel, très loin au-dessus de l'UE ou des USA. Alors il est pour l'instant trop tôt pour voir si cette orientation durera après la guerre ou si la Russie va réinventer l'économie monétaire de production qui a été abandonnée en Europe dans les années 70. Mais les effets économiques sont là. La croissance du pays est maintenant très forte nettement plus que celles des pays qui lui ont imposé ces sanctions étrangement. C'est en tout cas ce que nous apprend Jacques Sapir sur cet excellent fil de commentaires sur twitter. Si l'accroissement des dépenses militaires a eu un effet keynésien en tirant l'investissement et les dépenses de consommation vers le haut c'est aussi en grande partie l'investissement industriel, pour combler le manque de produits à l'importation, qui a conduit à cette plus forte croissance.

 

L'anomalie de l'excédent commercial Russe

 

La Russie va-t-elle devenir un modèle pour les Européens ?

 

Avec ces multiples mesures de contraintes économiques externes, la Russie s'est donc retrouvée à devoir produire en partie elle-même ce qu'elle consomme. Et comme je l'ai dit, ce n'était pas vraiment un choix des élites plutôt libérales sur le plan économique. Et en régime libéral un pays comme la Russie doit se spécialiser dans l'économie mondiale comme fournisseur de matière première. En effet, le pays est faiblement peuplé pour sa taille et possède d'immenses ressources qui lui permettent de tout acheter ou presque sans rien produire lui-même en théorie. C'est d'ailleurs en général le gros problème des pays producteurs de matière première en grande quantité. Pourquoi produire quand il suffit de vendre ses matières premières pour acheter les produits finis ? On pense tout de suite à des pays comme l'Arabie Saoudite, mais des pays comme l'Australie ou le Canada ne sont pas en reste. La Russie fait bien partie de ces pays aux ressources immenses et sa spécialisation naturelle dans un marché libéral est donc celle de producteur de ressources. Cependant, il est aussi évident qu'il est impossible d'avoir une nation puissante si vous ne faites que du commerce de vos matières premières. À la fin vous êtes quand même dépendant des puissances étrangères. Or si certains pays depuis longtemps se contentent d'être des nations de seconde zone et non des acteurs indépendants à l'image du Canada qui suit les USA. La Russie a montré qu'elle avait d'autres ambitions. Surtout depuis qu'elle a retrouvé des couleurs sur le plan économique après le désastre des années 90.

 

C'est cette volonté de puissance et surtout d'indépendance qui a poussé les USA à utiliser l'Ukraine pour faire plier ce pays. Et les mesures coercitives poussent maintenant la Russie à devoir reconstruire un véritable appareil industriel pour ne plus dépendre que de ses matières premières. Si la Russie a commencé à ne plus vouloir trop dépendre de l'Europe et de l'occident dès 2008-2010 suite à la crise financière, c'est véritablement le conflit en Ukraine qui a donné un coup d'accélérateur comme on peut le voir sur le graphique concernant la réorientation du commerce extérieur russe. (Le graphique provient de cette lettre du CPEII concernant la Russie) La Chine et l'Asie deviennent les principaux clients et fournisseurs de l'économie russe. C'est un double avantage pour la Russie, d'une part elle est beaucoup moins susceptible de souffrir en cas de nouvelles sanctions occidentales. Et l'histoire récente montre que les orientations russophobes de l’occident sous influence américaine ne sont pas près de changer même si la lutte contre la Russie commence à faire grincer des dents chez les satellites européens. Le second avantage est d'arrimer la Russe au nouveau centre du monde qu'est l'Asie. En effet si l'Asie est déjà le cœur de l'économie mondiale, cette situation ne va faire que s'accélérer avec l'entrée de l'Asie du Sud, de l'Indonésie ou encore de l'Inde dans un processus de développement économique.

 

 

Alors la Russie pourrait-elle devenir le pays du retour de la régulation économique et un nouveau modèle ? La tendance à un dynamisme de production nationale est récente et elle est le produit de choix imposés de l'extérieur. Rien ne dit que ces orientations persisteront après la guerre en Ukraine. La Russie comme tous les autres pays a des luttes sociales internes et les intérêts des bourgeois russes comme celui des Occidentaux n'est pas forcément dans une limitation des importations pour favoriser les productions locales forcément plus chères. Pour l'instant le sursaut patriotique semble plus fort que les intérêts de classe, mais cela pourrait ne pas durer. Ensuite même si la Russie commence à plus produire, ce pays reste encore très dépendant des matières premières, c'est encore la moitié de ses exportations par exemple. Cependant il est effectivement possible que constatant une meilleure efficacité économique produite par un régime relativement protectionniste, les Russes décident de persister dans cette direction. On peut donc faire assez raisonnablement l'hypothèse d'une Russie abandonnant le libéralisme économique pour essayer la voie keynésienne d'une économie monétaire de production. Rappelons d'ailleurs qu'il s'agissait en grande partie du fonctionnement des économies occidentales d'après-guerre, et cela jusqu'aux années 70. On peut d'ailleurs décrire le changement économique d’après guerre par rapport à la période libérale qui l'avait précédé d'un des effets secondaires de la Seconde Guerre mondiale. Lorsque les générations qui ont vécu la guerre ont vu l'importance de la planification collective et de l'interventionnisme étatique dans l'économie nationale. À l'inverse ce sont les années de paix qui ont ramené l'idéologie libérale au pouvoir, de là à dire qu'elle ramène la guerre par son inefficacité.

 

Cette orientation économique pourrait d'ailleurs trouver une autre justification de la pression de l'empire américain. En effet si pour l'instant la Chine est un allié de circonstance, ce pays pourrait devenir problématique pour la Russie dans les années qui viennent. Devenir trop dépendant économiquement de la Chine pourrait à terme devenir tout aussi problématique que de trop dépendre de l'Europe et de leur suzerain américain. On le voit en raisonnant ici rapidement, la Russie se retrouve en fait dans une situation géopolitique qui risque de la contraindre à avoir un politique plus souverain en matière économique, et donc ne dépendant pas entièrement de ses matières premières. En clair, la Russie va peut-être être obligée de faire du Gaullisme au moins sur le plan économique. Et je pense qu'il s'agit là d'une très bonne chose pour le peuple russe et peut-être d'un espoir pour les pauvres européens englués dans un libéralisme autodestructeur depuis trop longtemps. Si les Européens ont sous le nez l'exemple d'un pays qui régule son commerce extérieur et connaît des taux de croissance largement supérieurs, ils finiront peut-être par se poser des questions sur leur propre modèle économique eurolibéral. Et d’ailleurs la simple peur de la Russie pourrait pousser les élites européennes à revoir leur copie et à abandonner leur modèle économique autodestructeur. Un peu comme la peur de l'URSS a poussé le patronat européen à être un peu moins égocentrique et idiot pendant la période d'après-guerre pour ne pas nourrir le communisme. Mais il ne s'agit évidemment là que d'hypothèses. Et même si la Russie a un modèle économique plus dynamique, il aura du mal à le rester avec le vieillissement de la population. Car comme on l'a vu dans la première partie, la natalité russe n'est pas bonne tout comme celle de l'Europe en général. Et c'est peut-être là qu'on verra si la Russie peut devenir un modèle ou pas. Si les Russes arrivent dans les dix ans qui viennent à redresser la situation sur ce plan et à revenir à deux enfants par femme on pourra peut-être alors parler d'un nouveau modèle économique et politique viable pour l'Europe.

 

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