« Je me sens donc plus proche de ceux qui souhaitent diminuer l'imbrication des économies nationales que de ceux qui voudraient l'accroître. Les idées, le savoir, la science, l'hospitalité, le voyage, doivent par nature être internationaux. Mais produisons chez nous chaque fois que c'est raisonnablement et pratiquement possible, et surtout faisons en sorte que la finance soit nationale. Cependant, il faudra que ceux qui souhaitent dégager un pays de ses liens le fassent avec prudence et sans précipitation. Il ne s'agit pas d'arracher la plante avec ses racines, mais de l'habituer progressivement à pousser dans une direction différente. »
De l'autosuffisance nationale John Maynard Keynes Londres 1933
Je suis toujours éberlué par la capacité des économistes libéraux à être à ce point aveugle aux conséquences de leurs propres doctrines. Un cas exemplaire est celui de l'économiste Nicolas Bouzou que les médias font apparaître un peu partout avec un tampon « d'économiste ». Un spécialiste ne saurait être un idéologue ou un défenseur d'intérêt particulier. Non, il est juste économiste, un comme les médecins défendant l'industrie pharmaceutique durant la crise du Covid. Pour ce monsieur, tout va bien en occident, il n'y a pas d'effondrement. Il fait partie de ces économistes qui n'ont comme sens de la mesure du réel que le PIB exprimé en dollar, les taux de chômage sans questionnement et une ignorance totale des questions commerciales et des déficits cumulés en la matière. Peu importe l'effondrement de l'espérance de vie, la hausse de la mortalité infantile que ce soit aux USA ou en France. Peu importe également l'échec de l'OTAN face à la Russie en Ukraine. Non tout va bien en occident, puisque Nicolas Bouzou le dit ça doit être vrai.
Les esprits les plus alertes auront déjà remarqué la très grande ressemblance entre les libéraux actuels qu'ils soient néo ou autre chose, avec les communistes de la fin de l'URSS. C'est dans ce genre de situation que l'on remarque le caractère profondément religieux de ces idéologies. Loin d'être seulement une façon de voir les choses qui pourraient être respectables si de temps en temps elles acceptaient le réel qui les contredit. Leur acharnement à ne pas vouloir reconnaître des erreurs impliquant peut-être des raisonnements erronés, montre ce caractère religieux. On pourrait d'ailleurs dire la même chose de l'européisme qui est un cousin très proche et convergeant avec l'idéologie libérale. Les apôtres de l’Européisme ayant souvent la double casquette idéologique européenne et libérale. Si j'ai commencé ce texte par cette célèbre citation de Keynes qu'il a écrit dans son texte « National Self-Sufficiency », c'est que le sujet du jour est l'autosuffisance nationale. Un véritable gros mot par les temps qui courent, mais un sujet que j'ai régulièrement abordé, même si je n'ai certainement pas le talent d'un Keynes. Précisons d'ailleurs que Keynes fut longtemps lui-même un libéral. Il se considérait comme tel d'ailleurs. Mais la crise de 1929, et la vision d'un libéralisme incapable de résoudre les problèmes, l'ont fait changé d'avis. Il était devenu clair pour lui que le libéralisme ne pouvait pas résoudre la crise et que bien au contraire le laissez-faire conduisait l'humanité à de plus grandes catastrophes.
En un sens, la crise actuelle de la globalisation et la situation géopolitique du monde est assez semblable à celle de 1929 même si les acteurs et les rapports de forces sont différents. On a une crise qui est latente, et qui est en grande partie le produit de la dérégulation et du libre-échange de la période des années 70-90. La globalisation est allée beaucoup plus loin que dans les périodes de crises précédentes que ce soit au 19e siècle ou au début du 20e. Jamais les économies n'avaient été autant interdépendantes, et jamais des régions entières n'avaient été autant vidé de leurs capacités de production. La globalisation libérale a réussi le tour de force de faire perdre à l'occident ses siècles d'avance industriel et technologique en l'espace de deux générations. C'est une prouesse qu'il faut noter et qui restera marquée dans l'histoire comme la plus grande bêtise qu'une civilisation n'est jamais réalisée à un tel rythme. Il ne s'agit pas ici de critiquer la montée de la Chine et du reste du monde. En soi c'est une bonne chose. Mais de souligner qu'il s'agissait clairement d'un suicide collectif pour les sociétés occidentales. Le tout mue par le calcul égoïste de certaines classes sociales qui ont vu dans le libre-échange un moyen commode et pratique d'écraser les classes sociales laborieuses de leurs pays respectifs. On ne le dira jamais assez, la véritable motivation au libre-échange n'a jamais été la croissance, cette dernière n'a d'ailleurs jamais cessé de baisser en occident depuis les années 70. Le vrai but a toujours été la domination de certaines classes sociales sur d'autres.
Nous arrivons donc désormais à la fin du cycle libéral même si les libéraux ne veulent pas le voir. La globalisation a concentré les activités productives à certains endroits et les consommateurs dans d'autres en particulier en occident. Le résultat est bien évidemment des déséquilibres commerciaux monstrueux qui remettent petit à petit en cause la capacité des anciennes puissances industrielles à s'endetter et donc à continuer de consommer les produits importés. Ce faisant cette crise de la demande se transforme aussi en crise de surproduction dans les pays fortement industrialisés comme la Chine ou l'Allemagne. Faute de client solvable, le système capitaliste se cannibalise et produit du chômage. C'est particulièrement voyant en Chine ou malgré la très forte baisse du nombre de jeunes, le chômage explose chez cette catégorie de la population. Le modèle mercantiliste de ces pays n'est viable que tant que les pays qui cherchent à accumuler des excédents ne sont pas trop gros par rapport aux pays qu'ils parasitent. Au-delà d'une certaine taille, ils tuent leurs hôtes en quelque sorte. Il est bien évident qu'un système économique mondial ne peut être viable que si toutes les régions du monde équilibrent à peu près leurs balances des paiements. Sans quoi des crises arrivent inéluctablement.
La différence entre Keynes et les libéraux c'est que les seconds pensaient qu'en laissant faire le marché, la régulation se ferait tout seule, par la magie de la main invisible. Pour Keynes il n'y avait aucune raison pour que la somme des intérêts individuels accouche comme par magie de l’intérêt collectif. Il n'y avait donc aucune raison pour que le libre-échange accouche naturellement d'un monde en équilibre macro-économique et commercial. On pourrait ici discourir longuement sur l'origine de ces disparités commerciales. La structure familiale, le rapport à la consommation, les avantages en terme éducatif géographique sont autant de facteurs explicatifs de ces disparités. Les libéraux peuvent pleurer sur ces déséquilibres, le fait est qu'ils sont là et qu'ils produisent des crises à répétition. Il est donc primordial si l'on est un peu rationnel de prôner un rééquilibrage macro-économique, ce qu'aucun libéral ne prône jamais. Enfin sauf pour prôner de fausses mesures, en parlant de réduction des salaires ou des politiques sociales. Comme si la baisse des charges pouvait suffire à rééquilibrer le commerce français par exemple. On est là sur de fausses solutions démagogiques, mais ce sont pourtant tout le temps celles-ci qui sont mises en avant par les médias et les économistes de plateau télé. Un économiste libéral, mais un peu plus sérieux pourrait au moins prôner une solution plus positive comme une hausse de la consommation de produits importés par les pays en excédent par exemple. Il n'y a bien sûr aucune chance pour que la Chine par exemple choisisse une telle direction, mais théoriquement cela pourrait résoudre une partie du problème.
La réalité c'est que la globalisation a créé une économie mondiale ingouvernable. Nous en avions déjà parlé dans plusieurs textes. La suppression des frontières et l'interdépendance conduisent à l'incapacité des états à agir. Seules les plus grosses puissances peuvent encore agir sur leurs économies, et encore. Cette impuissance conduit à la mort de la démocratie puisque cette dernière n'existe que si le pouvoir pour lequel on vote a encore du pouvoir sur les questions essentielles. Ce n'est plus le cas. La question de l'autosuffisance n'est donc pas seulement une question purement économique, c'est aussi et surtout une question de liberté politique et d'autonomie des peuples. Il vaut peut-être mieux avoir un niveau de vie légèrement inférieur avec des prix un peu plus élevés si cela permet une véritable démocratie et la paix civile. C'est tout le propos de Keynes dans la citation du début. Nous reparlerons de la façon de rendre à notre nation son autonomie macro-économique dans le prochain texte. Le chemin sera long, mais ce sera nécessaire si nous voulons à nouveau œuvrer à la paix civile et à la démocratie. La tendance oligarchique actuelle ne pourra que produire de plus en plus de conflits jusqu'à un retour à des formes de guerre civile. Le calcul des gains produit par la globalisation apparaîtrons alors pour des idioties absolues tant le prix à payer pour l'avoir apparaîtrons comme démesuré.